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Il nous le faut!
- Maman, qu'est-ce que ça, le réveil ?
Avec ces mots Léon fait irruption dans la cuisine où sa mère termine les apprêts du repas.
Cantique et Bible sous le bras, car il revient de l'Ecole du dimanche, Léon préoccupé de sa question n'a pris le temps ni de s'essuyer les pieds au paillasson, ni de tirer derrière lui la porte qu'un violent courant d'air se charge de fermer avec fracas.
Madame Martel, toute à sa friture, se retourne brusquement et, sans lâcher la poële s'écrie:
En voilà une manière d'entrer! Regarde tes bottines! Elle sera jolie ma cuisine après ça!
Sur quoi elle doline une vigoureuse impulsion à la poële où les pommes de terre crépitent de plus belle.
Léon ne se laisse pas déconcerter par les exclamations maternelles, lesquelles d'ailleurs témoignent plutôt du désir de bien remplir ses devoirs d'éducatrice, que d'une indignation véritable.
Après avoir jeté un coup d'oeil sur ses bottines et un autre sur les pommes de terre, Léon reprend donc.
- Sais-tu ce que c'est que le réveil ?
Le pasteur a dit dans sa prière qu'on en aurait un tel besoin à l'Ecole du dimanche et dans les familles.
- Oui, je sais ce que c'est: j'ai justement lu ce matin un journal qui en parle. Ça se passe en Angleterre. Il y a beaucoup de gens, des grandes personnes et des enfants qui se donnent à Dieu et qui après sont toutes changées. Les hommes ne jurent plus, ne s'enivrent plus et tous sont gentils les uns avec les autres. On appelle ça un réveil religieux. C'est très beau, mais c'est en Angleterre très loin d'ici.
- Et tu crois que ça ne pourrait pas venir chez nous ?... Pourtant tu répètes souvent que Dieu nous donne tout ce qu'il nous faut; et le pasteur disait, (oh ! si tu l'avais entendu, ce n'était pas comme ses autres prières) il disait: «Il nous le faut, tu sais qu'il nous le faut !»
A ce moment de l'entretien deux autres membres de la famille, les petits, entrèrent en criant:
Jeanne. - Maman, y a Léon qui ne nous a pas attendus!
Georges. - Et on est rentrés tout seuls !
Jeanne. - Et on a rencontré un gros gros chien très méchant !
Georges. - Et on a couru très fort!
Léon, (riant). - Et après on est arrivé, on a voulu faire gronder Léon... et on va manger des pommes de terre frites qui seront fameuses!
Au soir de ce dimanche, tandis que Madame Martel remet en ordre la vaisselle, (les petits sont couchés et Léon lit avec ardeur Michel Strogoff) un sentiment vague et presque solennel paraît envahir le coeur et l'esprit de la mère de famille.
Elle ne cherche pas encore à s'en rendre compte, mais c'est comme un mélange de regret et d'espérance, de tristesse et de joie. Sa lecture du matin accompagnée de la question et des remarques de Léon l'ont poursuivie au milieu des allées et venues de la journée.
Une heure plus tard, sur le point de se livrer au sommeil, elle ouvre comme d'habitude son livre de textes et lit:
Je vous ferai plus de bien qu'autrefois... Ce n'est pas à cause de vous que j'agis de la sorte, c'est à cause de mon saint nom que vous avez profané. (Ezéchiel 36, 11, 22).
Pourquoi les nations diraient-elles où est leur Dieu ? Notre Dieu est au ciel, il fait tout ce qu'il veut. (Psaume 115, 2).
Alors les pensées de Mme Martel vont tout naturellement à ces jours d'autrefois. Bien souvent déjà elle a repassé dans son coeur ses souvenirs de jeune fille, de jeune femme de jeune mère. Mais jusqu'à ce jour la comparaison entre le passé et le présent lui causait une telle lassitude, un tel découragement, qu'elle chassait toujours de son mieux ces «rêveries noires» comme elle les appelait, en répétant philosophiquement: «Il faut prendre le temps comme il est et la vie comme elle vient.» Ou bien encore: «Il faut bien accepter ce qu'on ne peut pas empêcher.»
Cependant l'acceptation n'était pas toujours facile, et chaque année se multipliaient pour Mme Martel les choses qu'elle ne pouvait empêcher. Au début de la vie conjugale ç'avait été quelques petites scènes «comme on en a toujours quand les angles ne sont pas encore arrondis», pensait-elle.
Puis certains actes très marqués, très blessants, lui avaient révélé chez le «mari» un caractère assez différent de celui du «fiancé» Et maintenant. Oh! maintenant: il était presque toujours dehors. Entre les affaires, qui marchaient mal, et les amis, il n'y avait guère de place pour la vie au foyer. Et si, par hasard, il s'y attardait un moment, à ce foyer, ce n'était certes pas pour y apporter paix et joie! A cet état de choses Mme Martel n'avait guère pensé qu'elle eût peut-être une petite part de responsabilité. Vous avez entendu son refrain: Le temps comme il est, la vie comme elle vient. Or était-elle responsable du temps?
Mais ce certain dimanche soir les pensées de Mme Martel, remontant le cours des années, se reportent moins sur les circonstances qui se sont succédées dans sa vie durant ces treize ans que sur l'état de son âme, de son coeur depuis cet «autrefois» jusqu'à ce «maintenant».
Et que voit-elle ? Autrefois une jeune fille convaincue que livrée à ses propres forces elle est incapable de vivre selon les commandements de Dieu, si souvent transgressés par elle, et qui dans l'humilité et la repentance demande à Dieu avec le pardon, le secours de Son Esprit pour triompher de sa faiblesse et marcher dans la sainteté.
Maintenant une épouse, une mère de famille qui prie encore, oh! bien sûr, mais dont la vie est essentiellement dirigée par le bon sens et la sagesse que donnent les expériences faites et la connaissance plus complète des hommes et des choses.
Autrefois une jeune fille chantant de tout son coeur: «Prends ô Jésus, prends ma vie, elle est à toi» ...
Maintenant une femme qui s'écrie, non sans amertume: «Il faut prendre la vie comme elle vient !»
Autrefois une jeune fille pleine de foi, demandant et recevant, et abondant en actions de grâces.
Maintenant une femme déçue, souvent découragée, priant sans demander ou demandant sans recevoir.
Autrefois une jeune fille prête à tout supporter «au nom du Seigneur Jésus».
Maintenant une mère qui par ci, par là répète volontiers avec impatience: «Que vous êtes donc insupportables avec vos questions, vos chicanes, vos jeux bruyants!» Une épouse qui depuis quelques temps ne craint pas de confier à sa voisine (avec forces recommandations, il est vrai), que sa vie conjugale est plus qu'elle ne peut supporter!
Mais, ce soir chose étrange, cette vision du passé, cette constatation du présent ne sont plus des «rêveries noires». Il y a comme un point lumineux à l'horizon. Impossible de se livrer au désespoir! Non, tout n'est pas perdu. «Je vous ferai plus de bien qu'autrefois,» répète Mme Martel. Dieu le dit, lui le fidèle, le même hier, aujourd'hui, éternellement. Il fait tout ce qu'il veut. C'est vrai: c'est lui qui a voulu le réveil au Pays de Galles et il l'a fait. Alors s'il le veut il peut aussi transformer à nouveau ma vie, m'aider à me «reconvertir» pour ainsi dire. Oui, c'est cela qu'il me faut. «Il le faut» a dit le pasteur. Je sens qu'il a raison. Il le faut et quelque chose me dit que cela sera. Non pas à cause de moi. Je n'ai pas été fidèle, moi; je n'ai pas glorifié le nom de Dieu comme je l'aurais dû et comme je l'aurais pu, auprès de mon mari, de mes enfants, de mes voisins. Mais Dieu glorifiera son nom que j'ai profané et, à cause de lui, il me fera plus de bien qu'autrefois, non seulement à moi, mais à tout mon foyer. Ces âmes qui m'étaient confiées quelle place ont-elles eues dans mes prières, mes intercessions ?
Mon Dieu pardonne! Pardonne et malgré mon indignité accomplis tes promesses!
Le Réveil! Il me le faut. Apprends-moi à le vouloir comme tu le veux, afin que ta volonté puisse se faire, en moi d'abord, puis en chacun des miens, comme aux cieux!
A cette heure même il se fit dans le ciel un grand silence et tandis qu'un ange tenant une coupe remplie de parfum, se prosternait devant l'Eternel, une voix, comme le bruit de grandes eaux, retentit: «J'exaucerai!»
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