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Comme la terre fertile

Comme la terre fertile

Une petite fille rentre en courant de l'école : « Maman, j'ai eu le maximum pour mon ourlet à la leçon de couture, et la maîtresse a dit que c'était très bien ; et puis je lui ai montré mes souliers neufs et elle les a trouvés très jolis ! » La mère sourit, s'exclame, s'associe à la menue joie de sa cadette et reprend sa lettre interrompue.

Entre le fils aîné, un grand jeune homme qui termine son collège cette année : « Maman, notre groupe de « jeunes patriotes » est convoqué ce soir à une réunion politique contradictoire et l'on dit qu'il y aura du chahut, me conseilles-tu d'y aller ? » La mère reste perplexe, car elle voit dans son esprit les visages hostiles qui s'affronteront, elle devine les opinions opposées qui tourbillonneront violemment dans la salle, et elle se demande si c'est déjà l'heure pour son fils d'entrer dans la mêlée.

Mais déjà la porte s'est rouverte et un garçon très vif, aux brillants yeux bruns, se précipite en criant : « Maman, il est arrivé un accident à la récréation : un garçon m'est tombé dessus, poussé par un autre, et j'ai tout déchiré mon pantalon. La maîtresse est très ennuyée et dit qu'il faut que tu viennes la voir pour discuter avec elle de la réparation du pantalon. » La maman visite le dommage, soigne la plaie visible à travers la déchirure béante de l'étoffe et assure qu'elle ira voir la maîtresse.

Arrive alors un peu timidement un autre fils, jeune adolescent en pleine transformation : « Maman, il m'est arrivé quelque chose de grave ce matin au collège ; en nous rendant une composition de géographie, le maître a dit à mon camarade de pupitre et à moi que nous avions copié l'un sur l'autre ! Mais ce n'est pas vrai, nous avions seulement parlé un peu ensemble des questions posées avant d'y répondre. » La mère regarde le visage contrit et un peu rouge de son fils ; elle sent que le moment est grave en effet pour lui et qu'il faut sans tarder lui montrer qu'on ne peut pas être honnête à demi.

Mais voici qu'une grande jeune fille, un peu pâlie par la croissance, pénètre à son tour dans la chambre « Maman, je suis fatiguée, j'ai mal à la tête, puis-je manquer l'école cet après-midi ? »

La mère est bien tentée de se prendre la tête dans les mains devant cette avalanche de problèmes à résoudre, de questions à examiner. Tous ses enfants sont là, attendant d'elle secours, conseil ou approbation et elle se sent elle-même si dépourvue de force et de sagesse, si hésitante dans ses jugements, si craintive devant les batailles de l'existence…

Quand, l'après-midi, elle est seule de nouveau après l'envolée de toute sa bande, elle regarde pensivement par la fenêtre son beau jardin verdissant où le printemps déploie sa magnifique renaissance. Et tout d'un coup il lui semble voir pour la première fois le miracle de la terre féconde qui assure la vie du brin d'herbe comme de l'arbre centenaire, qui donne à chaque plante avec abondance ce qui lui convient pour accomplir sa petite destinée de plante. N'est-elle pas, elle aussi, une humble terre nourricière sur laquelle croissent ses enfants, et n'est-ce pas son travail à elle, possible, puisque voulu par Dieu, de donner à chacun ce dont il a besoin, comme il a besoin et quand il a besoin !

Elle considère alors d'un Å“il tout nouveau et comme fraternel cette admirable terre, si pleine de puissance dans son immobile et silencieuse présence et elle se sent bien petite à côté de cette merveilleuse force créatrice.

Mais, qui donc donne à cette terre sa richesee inépuisable, d'où tire-t-elle cette force si variée qui nourrit la fleurette comme l'arbre superbe ? Et la réponse s'inscrit dans le ciel bleu. C'est le soleil qui lui communique sa vie profonde et c'est la pluie qui la rend féconde. Une terre de cave ne peut qu'entretenir la pauvre vie stagnante d'un légume d'hiver ; c'est bien le grand ciel de Dieu qu'il lui faut pour développer ses possibilités infinies.

Et elle aussi, la mère humaine, elle a besoin chaque jour du soleil de son Dieu, de sa présence mystérieuse et cependant si réelle pour devenir une terre fertile et bénie où ses enfants puiseront le suc qu'ils attendent d'elle et dont ils ont besoin pour vivre jusqu'au jour où ils seront à leur tour ceux qui donnent la vie.

Ne t'agite donc plus, ô mon âme, à chercher en toi-même ce que tu ne possèdes pas ; ne sois pas dans l'angoisse parce que tes enfants ont faim de ta sagesse et soif de ta force et que tu te sens pauvre et faible ; ne t'épuise pas en anxiétés vaines et en doutes plus vains encore. Tourne seulement vers Dieu ta face et ton être tout entier, accepte de n'être rien par toi-même afin d'ouvrir ainsi la porte à sa présence créatrice, livre-toi à son action pénétrante qui veut faire de toi une terre nourricière, accueille tous les rayons de son amour et tous les dons de sa sagesse, et quand tu auras ainsi passé par l'abandon confiant et total, tu pourras retourner vers les tiens et tu leur apporteras, sans effort, la joie de Dieu qui sera devenue tienne, sa force qui aura épaulé ta faiblesse et son amour qui aura rempli ton coeur.

Merci, terre si simple et si grande, pour la leçon que tu m'as donnée sans le savoir; tu m'as parlé dans ta sérénité silencieuse et tu as éveillé en moi une foi nouvelle en ma mission de mère en me redisant à ta manière le secret et la source de toute vie normale et féconde.









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