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Les « Entretiens sur l'éducation » est un mensuel publié sans interruption depuis plus de 100 ans.
Le site www.entretiens.ch vous offre la possibilité de consulter en ligne ces extraordinaires archives parcourant/ponctuant au jour le jour l'histoire de l'éducation familiale d'un bout à l'autre du XXème siècle.
La survie de la brochure mensuelle imprimée parallèlement à la distribution virtuelle à travers le site est le garant de la poursuite de cette aventure. La rédaction est assurée de façon bénévole par un groupe de parents passionnés par la réflexion et l'écriture autour du vécu familial. Les frais d'impression du journal et la gestion du site (100 000 pages demandées par mois??)....30.- par an (20€).
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Education de la raison

Un de mes étonnements de professeur de philosophie - et je suppose que tout professeur d'histoire et de littérature même a eu des observations analogues à faire - a toujours été de constater la forme sommaire, véhémente, partiale et, par suite, inévitablement injuste que revêtent spontanément les jugements de beaucoup de nos élèves, en des matières où, de toute évidence, ils ne peuvent encore exprimer que les opinions de leurs parents et de leur milieu familial.

C'est, bien entendu, en matière politique et sociale que se manifeste surtout cet état d'esprit. Il y a des noms qu'on ne peut citer, des événements qu'on ne peut évoquer, des questions qu'on ne peut poser sans voir se déchaîner, non seulement ce que le langage parlementaire appelle des mouvements divers, mais des réactions passionnées d'enthousiasme et d'hostilité - réactions qui ne seraient que sympathiques ou amusantes si elles étaient vraiment ingénues, mais qu'on sent d'avance déterminées et fixées, et qui, toutes mimétiques ou instinctives, n'ont jamais subi l'épreuve de la critique ou de la réflexion.

Mais il arrive aussi que cet état d'esprit se révèle en d'autres matières apparemment beaucoup moins litigieuses, par exemple artistiques et littéraires. Ici encore, hommes, Å“uvres, écoles, tendances, sont d'avance « repérés », classés et jugés.

Ce qui m'étonne et m'alarme, dans ces réactions, ce n'est pas qu'elles soient vives : vive, comment faire que la jeunesse ne le soit pas ? Ce n'est même pas qu'elles soient simplistes : l'expérience n'a pas encore eu le temps de compliquer les problèmes. C'est qu'elles soient préétablies, c'est qu'elles présentent tous les caractères du préjugé avant même qu'eût pu intervenir un exercice normal du jugement.

Puisque, sans contester, certes, la possibilité d'autres influences beaucoup moins autorisées, c'est la famille qui me semble ici en cause - aussi bien, d'ailleurs, dans le cas de l'enfant qui est en réaction contre elle que dans celui de l'enfant qui lui fait une confiance illimitée - veuillent les parents qui me lisent me permettre d'attirer leur attention sur leurs responsabilités à cet égard.

L'inconvénient de ces mÅ“urs intellectuelles me semble évident en éducation. Il est à la fois culturel et moral.

Culturel. La culture est lucidité et finesse, revision claire et directe des réalités, juste appréciation des diversités et des nuances. C'est tout cela que l'on compromet en prenant des habitudes d'appréciation sommaire, d'expression outrancière, d'affirmation véhémente et préconçue. L'outil intellectuel, si délicat, en reste écorché, ébréché, telle une lame de rasoir avec laquelle vous auriez voulu faire de la grosse menuiserie.

Moral en outre. Justesse est aussi justice. Etudier objectivement le cas de chacun et rendre à chacun ce qui lui est dû ; ne pas accabler les uns sous des condamnations impitoyables pendant que les autres bénéficient d'indulgences toujours prêtes au sophisme ; ne pas refuser de voir ou d'entendre ce qui est à la décharge des premiers ou à la charge des seconds : une droite raison l'exige, mais aussi une conscience saine. Passer outre, c'est fausser celle-là, c'est aussi endurcir celle-ci. Manque de mesure, mais aussi manque de générosité. Et dès l'adolescence ! Qui peut vraiment en prendre son parti ?

Il ne s'agit pas, bien entendu, de fermer la famille ou l'école aux bruits du dehors. Il ne s'agit pas de rendre nos enfants insensibles aux aspects dramatiques de la vie et du monde. Il ne s'agit pas de porter atteinte en eux à cette spontanéité de l'âme, à cette faculté d'enthousiasme et d'indignation qui, chez certains, s'exaspérerait encore de la résistance et qui, chez beaucoup, ne s'émoussera, hélas ! que trop tôt. Il s'agit de précautions à prendre et de déviations à éviter, par exemple en la culture nécessaire du sens social et de la responsabilité civique.

C'est souvent l'âme pleine de rancoeur et de colère que nous rentrons chez nous le soir, après nous être longuement débattus avec ces affaires qui ne marchent pas, ces partis qui s'affrontent, ces problèmes qui s'aggravent. De grâce ! ne déversons pas toute cette bile sans savoir où elle va tomber, ni quels effets elle peut produire. L'éducation demande d'abord une atmosphère de confiance, de joie et de paix. Si cette atmosphère n'existe pas au dehors, raison de plus pour que nous la sauvegardions jalousement à l'intérieur du foyer. Quel profit possible à ce que tout y soit troublé de nos propres troubles, secoué de nos propres agitations ou passions ?

Il est naturel, il est légitime, il est nécessaire en un sens que nous mettions nos enfants au courant des grands événements de la vie publique et cherchions à leur faire partager nos réactions personnelles. Mais que ce soit toujours avec sang-froid, mesure, volonté de justice. Souvenons-nous que nous avons devant nous de petites personnes humaines en puissance, capables et dignes de partager notre souci du meilleur, mais encore prodigieusement influencables, soumises surtout aux forces de l'émotion et de l'instinct, plus promptes encore à se déchaîner qu'habiles à se dominer. Ménageons cette puissance explosive, qui ne restera humaine qu'à condition de rester lucide et maîtresse de soi.

Vous le cacherai-je ? Apprendre à discipliner ainsi la sensibilité et le jugement de l'enfant, c'est apprendre, pour le père ou le maître, à se discipliner soi-même. Les deux choses se tiennent et se conditionnent. En sont-elles moins belles pour cela ? Est-il exclu que l'éducation puisse être un échange de services, en même temps qu'un échange d'amour ? Qu'on y réfléchisse. L'enjeu est d'importance. Il y va peut-être, autour de vous, de toute une conception de la civilisation qui risque de se trouver remise en cause. Il y va, en tout cas, dans l'âme de l'enfant, de tout ce qui mérite de s'appeler sagesse et raison.









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