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Le patient amour

Quand ma tâche de mère me paraît décidément trop austère ou difficile, - quand je voudrais aller vite dans ma besogne d'éducatrice, et que je dois attendre, - quand j'aimerais voir le résultat de mes efforts et qu'il faut me contenter de lointains espoirs, - quand le suis lasse de toujours me dévouer, et que j'aspire à jouir de la vie, moi aussi, alors je m'arrête dans le va-et-vient de mes occupations et je contemple longuement un beau tableau d'Elisabeth de Stoutz que j'ai dans ma chambre, jusqu'à ce que l'apaisement se soit fait en moi.

Je voudrais évoquer devant vous ce tableau, afin que vous y puisiez, vous aussi, si vous êtes lasse et fatiguée, le courage et la force d'accomplir votre tâche maternelle.

Il représente, largement brossée, une grande prairie un peu sombre sous un ciel sombre lui aussi, où quelques teintes roses dans les nuages annoncent le soir. Mais à droite le ciel s'éclaire et une grande lumière envahit l'horizon. Sous cette clarté, au loin, un bouquet d'arbres et un toit de maison qu'on discerne à peine.

Au premier plan, là, tout devant et au milieu, une chèvre, dont la toison a des reflets clairs, et trois moutons paissent avec des mouvements de jambes et de tête qu'on devine lents et tranquilles. Et debout derrière la chèvre qu'elle surveille, une femme, une paysanne, à la silhouette un peu voûtée, évoque une immense et patiente attente. Elle tient dans ses bras un petit enfant, son dernier né, dont la tête confiante s'incline et s'appuie contre le front penché de celle qui est là, tout simplement, avec sa volonté calme et tranquille d'accomplir son devoir.

A côté de sa mère et faisant déjà son apprentissage de patience, une petite fille attend, elle aussi, les bras ballants, avec son profil enfantin aux joues rondes incliné vers la terre.

Ce trio, la mère et ses deux enfants, et ce tout petit troupeau qu'il surveille, expriment une paix lumineuse et sereine, la paix des choses et des gens qui sont bien à leur place et bien dans leur rôle, la paix de ceux qui acceptent sans révolte ou sans amertume la vie qui leur est faite et en font même quelque chose de très beau par le don complet d'eux-mêmes à la tâche proposée.

Et ma vie de mère me fait souvent penser à cette garde obscure près du petit troupeau qui paît.

Parfois j'aimerais mieux conduire une troupe joyeuse de vaches carillonnantes, j'en serais plus fière aussi ; je voudrais l'entraîner, par des routes ensoleillées, vers des pâturages odorants et variés; et puis je désirerais, demain, laisser ma place à d'autres et courir à pas légers sur des chemins nouveaux ; ou bien je voudrais vite tondre et retondre mes moutons, afin de filer leur laine pour m'en parer à mon tour.

- Eh non ! il faut patiemment attendre que des jours semblables se succèdent, amenant le lent et presque insensible développement des êtres de chair et d'esprit qui m'ont été confiés.

Mais ce qui fait ma joie et nourrit ma patience, pendant cette longue garde auprès de mes enfants, c'est tout ce que je peux être sans bruit, et tout ce que je peux donner à ceux sur qui je veille. - Il est une action plus efficace que celle des paroles et des gestes c'est l'affirmation silencieuse d'un cÅ“ur aimant qui croit à la puissance de la Vie divine et la voit par les yeux de la foi, accomplissant son Å“uvre de croissance et d'épanouissement dans la personne de ses enfants. Je puis faire cela, pendant ma longue attente, je puis recevoir de Dieu et donner l'Amour qui affirme sans se lasser les possibilités infinies de ceux que j'élève et conduit, cet amour qui devient par là créateur de vie, comme Celui dont il est issu.

Et la joie me sera donnée par surcroît, une joie grave et forte qui transfigurera ma tâche en apparence uniforme et austère.

Alors, comme la paysanne de mon tableau, j'accomplirai sans faiblir ma tâche obscure, même sous un ciel obscur, sachant que déjà l'horizon s'éclaire et que des lendemains pleins de soleil feront bientôt fleurir la prairie et chanter l'alouette.









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