
|
|
Les « Entretiens sur l'éducation » est un mensuel publié sans interruption depuis plus de 100 ans.
Le site www.entretiens.ch vous offre la possibilité de consulter en ligne ces extraordinaires archives parcourant/ponctuant au jour le jour l'histoire de l'éducation familiale d'un bout à l'autre du XXème siècle.
La survie de la brochure mensuelle imprimée parallèlement à la distribution virtuelle à travers le site est le garant de la poursuite de cette aventure. La rédaction est assurée de façon bénévole par un groupe de parents passionnés par la réflexion et l'écriture autour du vécu familial. Les frais d'impression du journal et la gestion du site (100 000 pages demandées par mois??)....30.- par an (20€).
En dehors du grand intérêt pour vous de cette matière exceptionnelle, que vous soyez jeune parent, chercheur dans une université ou simplement intéressé par l'évolution des comportements humains, votre soutien par l'intermédiaire d'un abonnement nous est indispensable.
Pour les pays lointains et si vous ne désirez pas profiter de la version papier, un abonnement sous forme de pdf est accessible au même prix annuel de CHF 30. Il vous donne un accès complet aux archives
L'esprit d’opposition
Si vous demandez à des parents de vous définir l'esprit d'opposition de l'enfant, ils vous répondront pour la plupart: «C'est la force ou la tendance qui pousse l'enfant à nous faire enrager.»
Sans doute, l'esprit d'opposition, au-delà d'une certaine limite, revêt-il une forme insupportable, mais, il faut bien aussi admettre qu'un être absolument dénué d'esprit d'opposition est un être auquel il manque une certaine vitalité nécessaire. L'esprit d'opposition ne serait-il pas, dès lors, un des facteurs normaux de la croissance intellectuelle, spirituelle, psychique et morale? D'aucuns lui attribuent même une place aussi importante qu'au mécanisme d'imitation, considéré en général comme le ressort essentiel de l'éducation. L'opposition suppose une certaine connaissance acquise : celle de la volonté des autres; elle indique que l'enfant a découvert la frontière du moi et du non-moi et marque le début de sa personnalité; elle intervient comme un facteur destiné à briser la coquille à l'abri de laquelle le petit enfant a commencé sa frêle existence. Sa cause profonde serait interne puisqu'elle résulte du progrès même de la croissance de l'individu.
Il va de soi, malgré tout, qu'il faut se préoccuper des motifs extérieurs. L'enfant s'oppose toujours plus ou moins à une impression désagréable ou à un système d'impressions désagréables, qu'il rattache, plus ou moins consciemment, à un individu, à un milieu, à une situation ou même à une idée. Son opposition revêt un aspect tantôt actif, tantôt passif. Passif, il n'est qu'une défense du faible ; actif, il se manifeste avec une agressivité variable, depuis les petites rébellions jusqu'à la grande révolte.
L'opposition passive
Voici une petite fille de sept ans et demi. Ce n'est pas une rebelle farouche : son attitude est parfaitement égale à l'égard de tout le monde. De caractère vif et gai, elle est toujours souriante et chante à toute heure. Mais, à la volonté des autres, qu'il s'agisse de ses parents ou de ses maîtres, elle oppose la sienne… avec le sourire, ce qui n'est pas le moins exaspérant. On a l'impression de n'avoir aucune prise sur elle. Très imaginative, elle se plaît à raconter des histoires qui ont un semblant de réalité et dont elle est toujours l'héroïne. Son esprit d'opposition est sans violence, sans agressivité apparente, sans hostilité déterminée. L'enfant n'en fait jamais qu'à sa tête et ne conçoit pas qu'il puisse en être autrement. Toute intervention n'a pour elle que la signification et la valeur d'une contrariété et tous les procédés éducatifs se brisent contre cette cuirasse.
Pour résoudre ce problème psychologique, il en faut compléter les données par quelques indications sur la famille. L'enfant en question est fille unique, très gâtée par ses grands-parents. Sa mère, très bonne, a seule quelque fermeté, mais une fermeté souvent accompagnée de colères, car elle est bruyante, exagérée et dramatise facilement. Le milieu est simple du point de vue intellectuel, mais droit et travailleur. L'enfant est active et ne craint pas l'effort. Une sanction provoquée par une désobéissance est souvent suivie d'une indigestion. Cependant, ni la douceur, ni la persuasion n'ont de prise sur cette enfant. Quant aux encouragements et aux compliments, ils la grisent au point d'annihiler bientôt tout effort.
Que se passe-t-il dans cette petite tête murée ? Ce n'est pas contre une souffrance que cette fillette se raidit, ni contre la pression d'une force extérieure trop brutale; ce qui lui a manqué c'est de n'avoir pas trouvé dans le milieu familial l'unité de vues et la fermeté nécessaires aux enfants pour se développer en sécurité, à l'abri des problèmes trop angoissants de la vie. Elle en est ainsi venue à surestimer son importance personnelle, puisqu'elle n'apercevait à l'horizon nul autre point fixe qu'elle-même. Toute sa conduite a donc visé à accroître l'importance de ce point fixe, c'est-à-dire l'importance de sa propre puissance. Son opposition à l'égard des éducateurs ne déguisait peut-être qu'une déception devant la carence de ces derniers.
Dans un tel cas, il y a révolte non contre la tyrannie des adultes, mais plutôt contre leur manque d'autorité et de consistance.
Il exi ste aussi des oppositions passives, isolant l'enfant jusqu'à l'entourer parfois d'une muraille opaque qui lui fait perdre tout contact avec le réel. Critiques, ordres, blâmes ne parviennent presque plus jusqu'à son esprit. L'enfant paraît écouter, mais n'entend rien. Il désobéit parce qu'il ne fait pas attention et sans en avoir conscience ; si l'autorité de l'éducateur se fait trop despotique, il peut en venir à se réfugier dans le rêve.
Le plus grand danger de ces oppositions passives c'est qu'elles risquent, en se généralisant, de réduire l'individu à l'impuissance et de le condamner parfois à échouer dans tout ce qu'il entreprend, en premier lieu dans ses études. Voici un petit garçon au cÅ“ur excellent, mais impulsif et sujet à de fortes colères. Ses parents ont cru agir au mieux en le mâtant, en l'enfermant parfois des heures entières, jusqu'à ce que ses colères s'épuisent d'elles-mêmes. S'il avait eu une nature ingrate, cet enfant aurait pu devenir sournois et révolté ; mais, de nature affectueuse et sensible, attaché à ses parents et confiant en eux, il n'a pas voulu être un révolté et son opposition d'active et agressive qu'elle était primitivement a pris un ton passif. Il est devenu distrait, désordonné, il ne sait ni fixer son attention, ni exécuter un travail proprement.
Les formes actives de l'opposition
Au lieu de l'enfant qui se défend, l'on se trouve en présence de l'enfant qui attaque : soit qu'il se plaise à exprimer une divergence de goûts ou d'idées avec ses éducateurs, soit qu'il recherche les moyens de déplaire, les occasions de se fâcher, de faire une scène, avec une tendance souvent marquée à s'opposer aux décisions familiales, même lorsque celles-ci ne le mettent pas directement en cause.
De telles manifestations se contentent parfois d'être presque platoniques. Tout le monde connaît des enfants qui, lorsqu'on leur demande de faire une chose, commencent par répondre catégoriquement qu'ils ne la feront pas… et qui, tout de même, l'exécutent. Mieux vaut, en pareil cas, ne pas trop montrer que l'on s'en aperçoit. Le triomphe trop apparent de l'éducateur ne saurait avoir d'autre effet que de provoquer une opposition plus forte et moins platonique, à la première occasion.
Il est, en premier lieu, très important de se demander si l'opposition se tourne toujours contre une personne déterminée, ou si elle possède au contraire, un caractère diffus et impersonnel. Dans le premier cas, l'opposition peut avoir été déterminée par l'attitude malencontreuse de celui qui en est l'objet et il faut alors que ce dernier, s'examinant lui-même, sache faire abstraction de son amour-propre et imposer silence à sa susceptibilité. En second lieu, il convient d'observer la part de déséquilibre affectif qui accompagne l'opposition. S'agit-il d'un enfant impressionnable, nerveux tourmenté dont les crises révèlent un malaise profond ? ou au contraire d'un enfant paisible, qui, bizarrement, s'oppose à telle manifestation de la volonté parentale? Cette volonté n'aurait-elle pas outrepassé ses droits en exigeant, par exemple, une obéissance purement formelle, au risque de provoquer, par la suite, une obstination d'autant plus formelle, elle aussi, que l'on s'est montré plus inutilement formaliste avec l'enfant ?
En dernier lieu, la question se pose de savoir à propos de quoi éclatent le plus souvent les crises les plus violentes d'opposition ? Pour y répondre, c'est toute l'attitude de l'enfant qu'il faut observer: ses goûts, ses lubies, les choses auxquelles il attache une importance démesurée.
Comment faire pour maintenir l'esprit d'opposition dans les limites permises.
Avec les tout petits: Ce serait une erreur de vouloir heurter de front et chercher à réduire par une contrainte rigoureuse et une pression constante leur disposition à défendre leur indépendance. Mais ce serait une erreur non moins grande que de ne plus rien opposer à leur opposition et de laisser cette fonction opposante aller en quelque sorte à la dérive.
L'enfant a besoin de se sentir sur une terre ferme. Il ne comprend peut-être pas toujours pourquoi on lui impose telle ou telle obligation contre laquelle, il proteste parfois, mais il ressent fort bien, et d'une manière pénible, l'absence totale de règle dans sa vie, la soumission des adultes à ses moindres caprices, l'incohérence de ses éducateurs.
Au lieu de lui imposer des règlements militaires qu'il ne saurait comprendre, ingéniez-vous à distraire le petit enfant pour obtenir de lui ce que vous en attendez. S'oppose-t-il à votre prétention de l'habiller ? ne discutez pas sans fin sur la nécessité de porter les habits, n'ayez pas l'air d'entendre ses protestations, mais détournez son esprit, racontez-lui une histoire. Dites-lui, par exemple : «Quand tu seras prêt, tu iras porter ton mouchoir sale dans la lessiveuse», ou «tu iras voir si la cuisinière a acheté des pommes de terre». S'il est assez grand, indiquez-lui une commission à faire, un moyen de se rendre ou de se croire utile, car c'est bien là la plus belle attraction que l'on puisse proposer à un enfant.
Avec les enfants à l'âge scolaire : A l'égard des enfants devenus écoliers, pères et mères doivent surtout combattre leur amour-propre de parents, s'ils ne veulent pas aviver un esprit d'opposition, qui semble bien n'être le plus souvent qu'un mécanisme de défense contre un travail trop intense. Qu'ils n'élèvent pas, par leur propre nervosité et leurs exigences, la tension déjà trop forte imposée aux enfants par la plupart des établissements scolaires.
Avec les adolescents : La tâche des parents est difficile quand l'enfant devient adolescent. La période de l'âge ingrat correspond fréquemment à une grande crise d'opposition, à moins que l'adolescent ne s'enferme dans un mutisme hostile, ce qui est plus grave.
Souvent les parents compliquent la situation par leur tendance naturelle à garder à l'égard de l'adolescent la même attitude qu'à l'égard de l'enfant qu'il n'est plus. N'oubliez pas que le jeune homme et la jeune fille s'opposent surtout parce qu'ils ont besoin d'imposer leur nouvel être : ils se sentent le droit de faire partie, désormais, du monde des adultes, et c'est parce que ce droit ne leur est généralement pas reconnu, qu'ils se débattent et recherchent une société où on les prendra au sérieux.
On court la chance d'atteindre un bon résultat en essayant de comprendre le jeune homme, en lui laissant dire une bonne fois ce qu'il a sur le cÅ“ur, sans l'approuver, bien entendu, mais sans le désapprouver davantage. Peut-être sera-t-il possible de lui faire admettre quelquefois que, parmi les raisons qu'il se donne, la plupart n'en sont pas; mais, ceci est délicat et demande beaucoup de savoir-faire. Il est plus facile de montrer à l'enfant que ses sentiments ne vous scandalisent pas de façon telle que vous le considériez comme un monstre. Votre attitude optimiste doit lui faire sentir que vous n'êtes pas angoissé par son hostilité et que vous ne le prenez même pas exagérément au sérieux ; mais ne le lui dites pas, sinon vous risqueriez de déterminer une réaction de protestations.
Il est nécessaire aussi que la personne visée ne prenne pas, elle non plus, l'opposition ou l'hostilité de l'enfant trop au tragique. Tout doit tendre à apaiser; le père ou la mère qui n'obtient rien d'un enfant doit se demander s'il n'aurait pas intérêt à changer de manière d'être, de méthode… ou même à réduire ses relations avec l'enfant pour un temps donné.
Il n'est pas toujours utile de parler ; si vous savez ce qui manque à un enfant, il vous est relativement aisé, sinon de lui donner, du moins de lui offrir quelque moyen de compenser ce manque. La compréhension, même tacite, est un gros appui. Lorsqu'un enfant se croit délaissé ou moins aimé qu'un autre, donnez-lui quelques preuves d'affection, réconfortez-le, faites prendre un cours différent à sa pensée. Si vous découvrez l'origine d'une peur ou d'une angoisse qui tend les nerfs de l'enfant et l'oppose douloureusement à tout ce qui l'entoure, tentez de le rassurer par des conversations qui, sans aborder directement le sujet, peuvent, progressivement, contribuer à donner au pauvre anxieux une image plus saine, plus objective, moins effrayante de la réalité.
Il s'agit, bien souvent, de débarrasser les choses de l'émotion et du trouble qui s'y sont surajoutés. Le but à poursuivre est presque toujours de faire accepter l'inévitable. Il n'est pas toujours aussi simple qu'on l'imagine d'accepter de grandir (malgré le désir qu'en ont les enfants), car ce désir s'accompagne facilement d'un sentiment décourageant de difficultés nouvelles, d'obstacles à surmonter.
Pour aider les uns et les autres à s'adapter, il faut montrer à chacun la beauté de son rôle et l'exemple des parents ici est capital, car ce n'est pas avec des discours que l'on peut se faire entendre.
Conclusion
Cette étude de l'esprit d'opposition fait ressortir la nécessité pour les éducateurs de savoir regarder au delà des apparences. Puisqu'un malaise existe le plus souvent à la base des oppositions enfantines, le vrai problème n'est pas de les briser, mais avant tout de guérir le malaise, afin d'aider d'enfant à utiliser ses forces d'une manière plus positive et plus efficace pour son propre bonheur et celui de son entourage, comme pour le bien de la société.
|
|
|