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Les mains d'Esaü et la voix de Jacob
Qui ne se souvient du vieux récit de la Genèse où l'on voit Jacob dérober à Esaü sa bénédiction de fils aîné? Poussé par une mère que sa prédilection rend capable de vilenie, ce mauvais garnement formé le dessein de tromper son père qui est aveugle et qui se sent mourir. Vous vous rappelez comment il se présente devant lui, portant le plat de viandes épicées que le vieillard a désiré manger : «Qui es-tu, mon fils?» demande Isaac. Et Jacob répond impudemment : «Je suis Esaü ton fils aîné». - «Approche toi donc que je te touche», dit encore le père.
Or Jacob a recouvert ses mains lisses avec la peau d'un chevreau qui les fait ressembler aux mains velues de son frère. Il tend donc ses mains à tâter, et sa ruse éhontée convainc l'aveugle . «Les mains sont les mains d'Esaü», dit Isaac.
Mais il a dit d'abord: « La voix est la voix de Jacob». Et ce trait du récit, si vous le racontez à des enfants, les rend vibrants, enthousiastes : «Ça y est! Le trompeur va être reconnu!» - En effet, il l'eût été, si seulement le vieux patriarche s'était fié aux indications de la voix plutôt qu'à celles que lui fournirent les mains. - «La voix est la voix de Jacob». Autrement dit: la voix d'un homme n'est pas un attribut banal, une propriété collective, que d'autres posséderaient avec lui. La voix d'un homme n'est qu'à lui: elle est cet homme lui-même.
A côté de l'antique récit biblique, voulez-vous un fait très moderne? Voici: Quand le gramophone apparut, il y a une quarantaine d'années, il fut salué par des acclamations unanimes. Ce n'est pas qu'on eût deviné tout de suite les services qu'il devait rendre dans le domaine de la musique (les premiers appareils, au pavillon en forme de volubilis, n'autorisaient pas de très grands espoirs à cet égard). Mais on voyait dans cette découverte le complément magnifique d'une autre à laquelle on s'était ardemment attaché. Après la photographie, c'est la phonographie qui naissait. On disait: de même que l'on peut déjà conserver l'image, les traits de ceux qu'on aime, on va pouvoir conserver aussi le son de leur voix. Il en fut ainsi en effet. Et vous vous souvenez peut-être d'avoir entendu dérouler un cylindre sur lequel un oncle, ou un voisin, avait fait enregistrer sa voix, aux environs de 1900.
Mais qu'advint-il ensuite ? - Il advint que la « phonographie » fit des progrès énormes, et que les appareils, au lieu de faire entendre un bruit uniformément cornant et nasillard, répétèrent dans ses moindres nuances, avec son accent authentique, la voix de celui qui avait parlé devant la plaque de cire
Et les «portraits phonographiques» moururent d'être devenus trop ressemblants. - Quel paradoxe ! direz-vous. Pourquoi en aurait-il été ainsi? - Parce que, lorsqu'on a perdu un être cher, il est une chose que le coeur ne peut supporter: c'est d'entendre encore sa voix. Les photographies fidèles font souvent pleurer; jamais pourtant elles n'émeuvent de cette manière terrible dont émeuvent quelques simples mots où vibre l'accent de quelqu’un qu'on a aimé. La voix, c'est l'homme lui-même.
Et c'est ainsi que ceux qui nous parlent de la voix, dans ce numéro tout entier de nos Entretiens, ne nous convient pas à une gymnastique arbitraire des cordes vocales, à une surveillance purement superficielle de notre manière d'être. Mais, en partant de ce qui est bien visible et très facilement saisissable, et dans des paroles souvent souriantes que nous pourrons (quand nous en aurons fait notre profit nous-mêmes) lire à nos enfants, ils nous appellent à un travail, une discipline, une fidélité qui concernent « l'homme lui-même ».
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