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Deux mains et trois filles!

Quand il pleut, pendant les vacances, on va se promener sur la route. Bien sûr que c'est ennuyeux de renoncer aux sentiers des pâturages ou des forêts, mais ils sont trop boueux, trop glissants pour des pieds d'enfants. Alors on se rabat sur la route, et c'est papa, naturellement, qui préside à cette sortie : Ne doit-il pas profiter de ses vacances pour voir « les petits» d'un peu plus près ?

En avant donc, joyeuse troupe! Dès les premiers pas, cependant, voici que l'on se heurte à un problème des plus épineux. Car il a trois filles, ce pauvre papa, et il n'a que deux mains - chacune des filles réclamant une main, quelle est des trois celle qu'il convient de sacrifier?

Pas la plus petite, grands cieux! crainte des précipices qui bordent la route et des autos qui foncent dans le brouillard. Mais la seconde n'est-elle pas une rêveuse impénitente dont on ne sait jamais si, les yeux dans la lune, elle ne va pas se jeter dans la gueule du loup ? Quant à Gaby, si vive, toujours à folâtrer de droite et de gauche, elle risque de se faire happer au premier contour.

Du reste, le problème n'est pas seulement de surveillance, mais de psychologie. A force de dire à l'aînée: «Toi qui es la plus grande, tu peux bien céder une fois, céder encore, céder toujours… », ne finira-t-on pas par la dégoûter de son titre d'aînée et par créer en elle le sentiment qu'elle est moins aimée que ses sÅ“urs? Ou bien faut-il recourir indéfiniment à la bonne grâce de Marie-Louise, sous le fallacieux prétexte que, deuxième en âge, elle n'est ni assez petite pour ignorer le danger, ni assez grande pour crier à l'injustice ?

Trois filles et deux mains: grave problème en vérité ! Pourtant, certain jour du mois dernier, au lieu de ressembler au meunier de la fable et d'essayer de toutes les solutions possibles, papa s'en est fort bien tiré. De sa voix la plus engageante, il a dit à Gaby qu'il avait besoin d'elle : « Il s'agit, tu comprends, de garder tes sÅ“urs, l'une des précipices, l'autre des autos. Nous mettrons bébé entre toi et moi, tandis que je tiendrai Marie-Louise de l'autre main. Ainsi nous pourrons cheminer tranquilles et je vous raconterai une belle histoire. Es-tu d'accord? » Miracle! Gaby, très fière, n'a pas une seconde d'hésitation. Bien plus, Marie-Louise revendique l'honneur de protéger à son tour la cadette, si bien que, cette fois, chacune eut sa part de la main paternelle et personne ne se plaignit d'être laissé pour compte…

Si des mamans lisent ces lignes, je suis sur qu'elles ne pourront s'empêcher de sourire : « 0 candeur, penseront-elles, il a découvert l'A. B. C. de l'éducation et le crie sur les toits ! ».

Eh bien, Mesdames, vous si fines et nous si maladroits, nous tombons d'accord sur cette règle générale : autant que possible, lorsque nous exigeons de nos petits un effort ou un sacrifice, ne négligeons pas de leur montrer l'intérêt, au sens psychologique du mot, la joie ou la beauté qui s'y rattachent. Il n'est pas question de supprimer l'effort, certes, mais de le faire aimer. L'éducation n'a pas d'autre objet que d'éveiller et de former le sens des responsabilités : encore faut-il amener l'enfant à se porter au-devant de sa tâche avec plaisir et fièrement, comme un héros qui veut vaincre.









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