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Le Foyer
Chez nos lointains ancêtres, au temps où ils vivaient dans des cavernes ou dans des abris rudimentaires, le foyer se composait de quelques grosses pierres plates entre lesquelles ils entretenaient un feu qui ne devait jamais s'éteindre. C'est là, que pour calmer leur faim, ils faisaient rôtir les bêtes qu'ils avaient capturées, là qu'ils se réchauffaient et dormaient, tranquilles, parce que la flamme les protégeait du froid, de la tempête et des bêtes sauvages qu'elle tenait éloignées.
Beaucoup plus tard, le foyer est devenu l'âtre, centre et cour de la maison; l'âtre où, pendue à sa crémaillère, la marmite aux flancs rebondis laissait doucement mitonner la bonne soupe qui fait vivre. Assis en cercle autour des bûches flambantes, le père se reposait et les femmes faisaient ronronner leurs rouets, tandis qu'au dehors régnaient l'obscurité, la pluie ou le gel. Puis, à l'heure du repos, on enfouissait la braise rouge sous la cendre afin de la retrouver encore chaude le lendemain.
Et maintenant? Maintenant le fourneau à gaz a détrôné bien souvent l'âtre et s'il suffit de tourner le commutateur électrique et la clef dans la serrure pour voir clair et être séparé des périls du dehors, le foyer est encore, et nous voulons qu'il reste toujours, le centre où la famille se rassemble pour partager la nourriture, et le refuge où chacun vient chercher la chaleur et la lumière.
Que ferons-nous, nous les mères, pour conserver au foyer cette chaleur, cette cohésion, ce rayonnement qui sont sa force et sa raison d'être?
La famille unie, le foyer heureux ont un beau rôle à jouer dans le désarroi du monde actuel, et je crois que c'est en restant simplement à la place où Dieu nous a mises que nous pouvons être le plus utiles.
Vie de famille ou vie d'auberge?
Le foyer où chacun revient, son travail terminé, pour y prendre la nourriture et le repos sera-t-il l'auberge ou la maison? Sans doute l'auberge a du bon, elle procure à ses habitants bon souper et bon gîte, mais si la maison ressemble à l'auberge, elle perd sa valeur et sa poésie. L'auberge ne peut pas suffire au coeur de l'homme qui ne vit pas de «nécessaire» seulement, mais à qui il faut du «superflu» la pensée, l'affection, le dévouement et l'espérance.
Pour que la maison ne soit pas une auberge, tous les membres de la famille, les plus petits comme les plus grands, doivent s'employer à la construire.
A mesure que les enfants grandissent ils doivent apporter leur pierre à l'édifice commun.
«La famille donne beaucoup, mais elle ne donne pas sans condition; ce n'est pas juste de tout exiger de la famille sans rien lui donner, de lui demander le repos quand on est fatigué, les soins dans la maladie, la gaieté dans l'accablement et de vouloir en même temps conserver les avantages d'une vie libre et dégagée. La vie libre a ses plaisirs, la famille a les siens, mais elle a aussi ses devoirs. C'est une noble servitude où chacun se doit à tous».
A l'auberge, chacun ne s'occupe que de soi-même chacun a sa propre salière et sa propre carafe, on n'y est responsable de rien, ni de personne, on en change dès qu'on en est lassé et il suffit de payer son écot pour être en règle.
A la table de famille, la salière et la carafe passent de main en main et quelquefois quand elles vous arrivent la carafe est vide et la salière épuisée. A la table de famille, chaque membre est responsable du confort et du bonheur de tous les autres et doit apprendre avant tout à les supporter.
« Il y en a un qui ramasse les miettes avec une lichette de pain, un autre qui ouvre la bouche dix bonnes secondes trop tôt et montre sa langue chargée de nourriture, un autre fait fioup, fioup à chaque lampée, un autre parle en mangeant
on entend répéter « ne te balance pas, tu me fais mal au coeur - ne râcle pas le parquet avec tes pieds, c'est intolérable - ne bois pas plus d'un demi-verre, cela fait mal à l'estomac »
Et pourtant ce sont mes frères et je les aime ».
S'aimer.
Nous nous aimons, nous sommes prêts à souffrir les uns pour les autres, mais une inexplicable réserve nous empêche d'exprimer notre affection, sauf peut-être aux tout petits. Ne nous privons pas de dire et de répéter aux nôtres que nous les aimons, de le leur prouver et de leur en redonner la preuve. Les occasions que l'on regrette le plus sont celles d'aimer qu'on a perdues. Nous ne devrions jamais laisser personne s'éloigner sans lui avoir adressé une parole affectueuse ; chaque adieu devrait se dire dans un baiser.
Les mères aiment profondément leurs enfants, seulement elles ne sont pas toujours tendres ; quelquefois elles ne savent pas l'être, ou bien elles n'osent pas.
Ah cette mère dévouée qui n'avait jamais pu prononcer ce mot : «mes chéris». Un jour, elle pense tout à coup : si je mourais demain, mes enfants sauraient-ils que je les aimais ? Alors elle fit un gros effort et s'arracha le mot «mes chéris», puis elle sortit, trop émue pour dire autre chose, mais elle put entendre son petit garçon murmurer à sa soeur: « Hein c'est chic, quand maman dit mes chéris ».
Qu'ils sont heureux ceux qui peuvent exprimer au dehors tout ce que leur coeur ressent, ceux qui savent dire à propos le mot tendre qui console et la parole qui encourage! Ils sont la lumière et la chaleur du foyer.
Mais tous n'ont pas reçu en partage ce don magnifique du rayonnement et il y a des êtres qui lutteront toute leur vie contre l'égoïsme. Le pire ennemi de la famille c'est ce « Et moi », ce cri de l'être qui se sent lésé parce qu'on lui a marché sur le pied, ou solitaire parce qu'on ne lui a pas passé le plat.
Il faudrait assez s'oublier soi-même pour aimer jusqu'aux succès des autres; être heureux d'avoir un frère qui réussit mieux que soi ou une soeur plus jolie. Vivre de ses propres dons sans regretter ceux qu'on n'a pas. Vivre avec ses possibilités, son prénom, la couleur de ses cheveux, comprendre que c'est tel qu'on est qu'on doit résoudre sa vie ; accepter aussi les autres tels qu'ils sont, parce que c'est tels qu'ils sont que Dieu nous les a donnés pour que nous fassions avec eux une famille harmonieuse.
Les parents devraient aimer tous leurs enfants d'un amour égal, mais quand un des oisillons est moins bien réussi que les autres, la mère, dans sa tendresse, cherche à compenser pour celui qui est moins intelligent, moins vif, moins heureux, ce que la nature lui a refusé et elle le protégera, le soutiendra, l'excusera plus que les autres. Que ceux-ci ne s'imaginent pas être négligés, qu'ils comprennent que la mère cherche à réparer ce qui lui paraît une injustice.
Il ne faut pas non plus que les parents soient jaloux des amitiés de leurs enfants et de l'influence que d'autres peuvent prendre sur eux; c'est par l'enthousiasme que les jeunes agissent sur les jeunes et souvent un camarade ou un chef éclaireur peuvent donner une meilleure impulsion que les plus âgés.
Entraide.
Ne jugeons pas, ne critiquons pas, pratiquons de préférence l'art exquis de l'entr'aide, non seulement entre frères et soeurs, mais aussi entre parents et enfants.
Les pères ont une lourde charge sur les épaules ce sont eux qui portent la responsabilité civile et morale de toute la famille; eux dont le gain fait vivre toute cette bande d'affamés jusqu'au moment où les plus grands commencent à gagner; eux qui prennent en dernier ressort les décisions importantes. Les jeunes calculent-ils jamais la somme de travail, de temps, d'argent, de veilles que les parents ont dépensée pour les élever? Et pensent-ils jamais à la lassitude des mères? à leurs mains qui toujours travaillent, retournent les matelas, tirent les draps, pêlent les pommes de terre, ravaudent les bas ?
Et les parents qui voient la jeunesse joyeuse et insouciante savent-ils assez qu'elle n'est pas que cela et que tout comme l'âge mûr elle a ses fatigues, ses déceptions et ses souffrances?
Il faudrait mieux se connaître, pour mieux se comprendre et mieux se porter aide. Au lieu de cela, bien souvent, nous ne savons même pas la place que les nôtres tiennent dans notre vie.
Confidences et confiance.
Aimez-vous l'heure entre chien et loup? quand il est encore trop tôt pour allumer la lampe et qu'il fait déjà trop sombre pour travailler encore. Il me semble que c'est le moment propice aux confidences. Le silence prolonge et approfondit la phrase qui vient d'être prononcée ; dans la pénombre les voix s'adoucissent et perdent de leur âpreté, un mot tendre, un regret, un conseil, dits à mi-voix tissent entre les âmes des liens indestructibles.
Les confidences ne doivent jamais être forcées, pas même sollicitées ; il faut les attendre patiemment et elles viendront en leur temps si la confiance existe. Cette admirable confiance n'est accordée qu'à ceux qui la méritent, c'est-à-dire à ceux qui savent écouter, deviner à demi-mot ce qui n'est dit que confusément, à ceux qui s'efforcent de comprendre le point de vue des autres et surtout à ceux, les parents comme les enfants, qui ne trahissent jamais une confidence.
C'est par leur propre exemple que les parents devraient enseigner la beauté de la confiance. Dès qu'ils ne sont plus des tout petits au coeur transparent, nos enfants commencent à dresser entre eux et nous, sans qu'ils s'en rendent compte eux-mêmes, une façade extérieure qui nous cache leur véritable moi et la seule manière de retrouver leur intimité serait de faire tomber nous-même notre propre façade qui nous sépare d'eux plus encore.
Partageons avec eux nos soucis et nos joies, toutes les belles joies de la vie : lectures, promenades, jeux, musique, toutes ces choses dont plus tard ils diront :
« T'en souviens-tu » ?
Célébrons ensemble les anniversaires : une table avec quelques fleurs, un gâteau, des bougies, des visages joyeux et voilà pour toujours un souvenir lumineux.
Ce foyer, qui est notre foyer, nous apparaît, selon la hauteur d'où nous le regardons, tantôt comme une succession de besognes fastidieuses, tantôt comme le plus beau privilège qui soit aimer, donner, protéger.
Si la nourriture et le vêtement passent, l'amour demeure et il est la flamme que nous ne laisserons pas éteindre; mais pour pouvoir beaucoup donner, il faut s'enrichir en proportion de ce que l'on donne ; tenons nos âmes ouvertes pour accueillir tout ce qui peut élargir, approfondir, élever notre horizon.
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