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Place au silence
Ce n'est pas sans émotion que nous reproduisons une fois de plus un croquis de Clarus, le pasteur Marcel Bourquin, de St-Jean, Genève, enlevé prématurément le 3 mars dernier.
Qui n'a découvert un jour la vertu du silence? Tel maître, tel orateur se trouvent-ils en présence d'une classe ou d'un auditoire agités, il leur suffit bien souvent de se taire un instant pour que ce silence imprévu leur ramène aussitôt des esprits dociles et bien disposés. Quelle est la maman qui, renonçant à discuter, ne s'est pas contentée parfois de poser sur son enfant coupable un de ces regards lourds de silence devant lesquels s'écroulent les obstinations les plus farouches ?
Le silence : tantôt il trouble la conscience, tantôt il l'apaise. Un jour, il opère à l'instar d'une vrille et fait choir les hautes barricades de l'orgueil ; un autre jour, il permet à l'âme de redevenir limpide comme une eau qui, tranquille, laisse transparaître tout ce qu'elle retient au plus intime d'elle-même. Tantôt il nettoie, tantôt il inspire. Un jour, il nous révèle la faute que nous voulions nier; un autre jour, nous gonflant d'un pur enthousiasme, il nous soulève sur les ailes de la poésie et peut-être de l'adoration.
N'est-ce pas souvent dans la chambre noire, en tête-à-tête avec sa révolte, que le gamin rageur se prépare aux aveux ? N'est-ce pas dans la pure lumière du matin qu'il s'abandonne à son extase et que, seul dans le jardin, il se sent frère de la fleur et de l'oiseau?
Les grands éducateurs ne s'y sont pas trompés. Dans son école de Santiniketan (Demeure de la Paix), Rabindranath Tagore a fait du silence un de ses collaborateurs réguliers : « A six heures du matin, raconte un visiteur, un gong très musical marque le réveil. Les élèves quittent les dortoirs et chacun, emportant sa natte, va se placer seul sous un arbre, un peu à l'écart, pour les quinze minutes de méditation par où il commence la journée. Je crois, dit Tagore, aux heures de méditation, et j'ai réservé pour cela quinze minutes le matin et quinte minutes le soir. J'insiste pour que ce moment de recueillement soit observé, sans attendre des garçons qu'ils fassent hypocritement semblant de méditer. Je me borne à demander qu'ils se tiennent tranquilles et qu'ils s'exercent ainsi à l'empire sur eux-mêmes, alors même qu'au lieu de méditer sur Dieu, ils suivraient peut-être de l'oeil les écureuils qui grimpent aux arbres.
Sans doute, nous ne sommes pas des Orientaux, qu'on le regrette ou non, et c'est bien l'un des traits caractéristiques de notre civilisation occidentale que d'être tournée vers le dehors plutôt que vers le dedans, vers l'action plutôt que vers la contemplation. Toutefois, il fut un temps où la vie sous notre ciel était plus harmonieuse, parce que moins asservie au moteur et à la vitesse. Les paysans de chez nous connaissent-ils encore le sens du mot firobe, simple germanisme par lequel nos grands-pères désignaient cette « fête du soir» (Feierabend =firobe), où, le travail achevé, tous assis devant la ferme, on se laissait emporter sur le radeau de sa rêverie, tandis que les chauves-souris dans le crépuscule dessinaient leurs brusques méandres et que les hannetons, saouls de tendre feuille, s'abattaient un à un sur les pavés de la cour?
Oh ! ces heures lentes, heures bienfaisantes pour l'âme et pour le corps! De nos jours, le « firobe » est certainement plus difficile: trop inhumain le rythme de la machine, trop brutale la lumière électrique.
Raison de plus pour tailler au silence, dans notre brouhaha quotidien, sa place nécessaire. Ce n'est pas vivre que de rester toujours à la surface de son être. Pour être fort, pour être libre, il faut savoir se taire.
Nous voici dans la saison des vacances. Nous ferons des courses avec nos enfants, nous irons chercher des fraises ou des champignons, nous grimperons près des névés où l'on cueille l'anémone et la soldanelle. Couchés sous la voûte d'un bois ou perchés sur quelque roc dominateur, pourquoi ne dirions-nous pas: « Maintenant, petit, un peu de silence. Ecoutons le bruit du vent dans l'espace ou le coup de bec de la sitelle sur l'écorce. Ecoutons, regardons, méditons.»
Faire silence. Sur ce chemin royal, tant de clartés flous attendent, prêtes à nous conduire, comme par une échelle lumineuse, jusqu'aux sphères où l'on perçoit les rumeurs qui ne sont pas d'ici-bas.
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