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Sentiment d'infériorité chez l'enfant
Nous avons trouvé dans les Cahiers Protestants de juin 1930 un article de Louis Vuilleumier, sur le besoin de puissance et le sentiment d'infériorité chez l'enfant. Il nous a paru si intéressant que nous avons désiré en transcrire quelques fragments à l'usage de nos lecteurs.
Le besoin de s'affirmer apparaît avec la vie. A peine né, le bébé impose sa volonté à sa mère par ses cris, et très tôt, le petit enfant exige qu'on lui laisse faire seul tout ce qu'il croit pouvoir faire seul. Il imite tout, il répète tout et sa joie à être admiré montre qu'il jouit d'avoir réussi. Plus âgé, il est fier des responsabilités qu'on lui confie, il a hâte d'être indépendant, il est jaloux de sa liberté d'action et de pensée ; s'affirmer, être considéré comme un grand est son idéal. Ce désir est sain, réjouissant, normal; c'est la marque d'un enfant qui s'épanouit et se développe comme il doit le faire.
Une des conséquences de ce besoin de puissance, c'est le sentiment d'infériorité qu'il éveille chez l'enfant, lorsque celui-ci rencontre des obstacles à son désir de s'affirmer. Ces obstacles sont multiples et proviennent de circonstances physiques ou morales.
Un enfant est le cadet et il lui semble que l'aîné a tous les droits, tous les privilèges et que lui-même est toujours lésé ; ou bien il est l'aîné et il doit toujours céder, donner le bon exemple ; le sort de celui qui est deuxième sur trois n'est pas plus enviable : à l'aîné tous les droits et les responsabilités intéressantes, au cadet les égards et les cajoleries, à lui les corvées ennuyeuses. Ou bien c'est une fille qui est très convaincue de la supériorité du sexe fort - d'autant plus que ses parents ne lui ont peut-être pas caché leur déception de ne pas avoir eu de garçon à sa place - ou encore ce sont des malheureux qui souffrent de défauts physiques: santé délicate, infirmités, petite taille, sentiment de leur laideur ou de leur bêtise.
Enfin, beaucoup d'enfants sont tourmentés d'une façon chronique par leur conscience : ils sursautent quand on les interpelle, ils rougissent, ils ont des airs de chiens battus. L'enfant qui a menti, trompé, volé, sentant que sa réputation d'honnêteté est usurpée, est labouré chaque fois qu'on fait allusion à cette honnêteté. De même celui qui est faible et qui succombe à chaque nouvelle tentation, celui qui a peur d'affronter la nuit, l'eau froide et la moquerie. Celui qui manquant d'affection, ou au contraire trop aimé, trop embrassé, trop choyé, a laissé dévier son besoin naturel de tendresse et l'a transformé en une recherche exagérée de caresses, en curiosités malsaines, en un besoin de sensualité dont il a honte et qu'il craint qu'on ne découvre.
Toutes ces causes rendent l'enfant insupportable, car, mécontent de lui-même et trouvant le monde mal fait, il cherche à se donner le change en faisant retomber son malaise sur son entourage. Le sentiment d'infériorité qu'il éprouve engendre des manifestations diverses.
La première c'est la désobéissance qui lui paraît un moyen de prouver aux autres qu'il n'accepte pas leur autorité, qu'il est aussi fort ou plus fort qu'eux. C'est la cruauté de l'enfant qui écrase un escargot ou fait souffrir un animal. C'est la lâcheté à l'égard d'un plus faible que lui, c'est la bouderie, la tricherie, le dénigrement des camarades pour se faire valoir par comparaison. Ce sont aussi les accès de timidité ou de «je m'enfichisme». Celui qui se sent coupable cherche une excuse vis-à-vis de lui-même, mais cela n'empêche pas toujours le découragement, le désespoir d'éclater tout à coup.
Lorsqu'un enfant est cruel, impertinent, désobéissant, grossier, il a tort, il est coupable et il faut le reprendre, mais ce qu'il y a d'encourageant c'est qu'il manifeste ainsi, avec maladresse il est vrai, son besoin de puissance. Il y a donc chez lui de l'énergie à canaliser: on a dressé de petits lions et de petits tigres, on n'a jamais pu dresser des moules!
A l'époque de la puberté se produit chez les enfants une fermentation qui en désoriente beaucoup et désoriente encore davantage leurs parents. Le jeune homme devient facilement excessif : socialiste ou action française, ultramontain ou nihiliste ; ce sont autant de formes de la générosité, mais en même temps s'éveillent en lui tous les instincts de la brute ancestrale. Que les parents n'attachent pas la notion d' « état de péché » au besoin de tendresse et de sexualité qui est alors le sien. Rien n'est irrémédiable à cet âge, c'est le plus souvent l'instinct qui cherche sa voie avec plus ou moins de bonheur; mais il faut qu'il la trouve, car si les jeunes gens ne sortent pas de cette phase au bon moment, ils courent le danger d'y rester fixés et d'en porter le poids toute leur vie.
Quelles seront les conséquences lointaines, c'est-à-dire dans la vie de l'adulte, du sentiment d'infériorité de l'enfant ?
Je les ramènerai à trois types
1° Celui de l'homme qui s'est résigné à rencontrer des obstacles et des limites et qui en prend son parti.
Il accepte la vie telle qu'elle est et ne s'en tourmente pas. Il s'adapte aux circonstances et aux idées reçues dans son milieu. Cela fera un homme moyen, qui n'aura pas beaucoup d'initiative et ne recherchera pas les responsabilités. Il ne souffrira pas de son infériorité parce que son besoin de puissance était, de nature, très modéré et que l'éducation qu'il a reçue, l'a encore émoussé en lui coupant les ailes. Il y a des gens qui pensent que c'est là le but de l'éducation !
2° D'autres ont manqué leur évolution et risquent de rester toute leur vie sous le poids de ce sentiment d'infériorité. Ils en souffriront eux-mêmes et en feront souffrir les autres. Ce sont les éternels mécontents, qui voient partout le mal et l'injustice, les chefs de famille intolérants et tyranniques qui ont toujours besoin de morigéner leurs enfants, de les tenir sous leur tutelle, même quand leurs cheveux commencent à grisonner; ce sont le maître et l'officier tatillons, à l'affût de la faute à relever; et en politique tous ceux qui font de l'opposition pour le plaisir de mettre des bâtons dans les roues.
3° Enfin, il y a le type des vainqueurs. Ceux-là ne se sont pas résignés à leur infériorité; ils l'ont regardée en face, ils l'ont mesurée et acceptée. Et parce qu'ils se sont sentis faibles sur un point, ils ont cherché des compensations sur un autre et les ont parfois trouvées au quadruple.
Le but de l'éducation ne peut pas être de détruire ces tendances malheureuses ou de supprimer les causes de faiblesse inévitables, mais de favoriser, de préparer à l'avance des compensations, des sublimations et de rendre possible à l'enfant sa conquête personnelle.
(A suivre).
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