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L'art d'être belle-mère
Le temps de guerre ne modifiera pas le rôle de la belle-mère, il en accroîtra seulement l'exigence.
Les fils et les gendres sont aux armées. Il est fréquent que jeunes femmes et petits-enfants se soient regroupés autour des grands-parents. Va-t-il s'agir pour ces derniers de revenir purement et simplement au temps où leurs enfants étaient réunis sous leur obédience ? Non bien sûr. Il n'y a plus maintenant de jeunes caractères à former, de jeunes âmes à modeler, mais des autonomies individuelles et collectives à respecter: celle de ces adultes, celle de ces jeunes foyers dont la réalité subsiste en dépit de la séparation et des déracinements.
Ne nous leurrons pas. Il serait vain de s'imaginer que, parce que l'on est membre d'une même communauté familiale, on aura les mêmes vues sur la manière de conduire un ménage, d'élever des enfants, de gagner une guerre ou de bâtir un traité de paix. Il serait même vain de se figurer que la gravité de l'heure présente, ses devoirs et ses nécessités entraînent par enchantement l'unanimité des esprits et des cours.
Jetons plutôt les yeux autour de nous. Les uns, plus amis de leurs aises ou plus dominés par «frère l'âne», se tourmenteront du vivre et du couvert, des confitures à faire et du charbon de l'hiver à venir, tandis que les autres, plus parfaits, plus insouciants ou doués d'une plus solide santé diront: que sont ces contingences au prix de ce qui se joue présentement? Ici on soutiendra que même les petits ne doivent pas ignorer que c'est la guerre; en face on estimera que la guerre n'est pas pour les enfants. Dans chaque logis un peu peuplé, il y a les pessimistes et les optimistes,
ceux dans l'oeil de qui, demain ressemble trait pour trait à hier, et ceux qui estiment que le monde se meurt d'un manque d'imagination et de générosité. Chacun réagit à sa guise devant les événements et des philosophies se précisent, des caractères s'affirment qui, dans le calme d'une autre période, n'eussent pas pris d'eux-mêmes cette conscience aiguë. Placée au carrefour de toutes ces divergences, que va faire la belle-mère?
Si le regroupement s'est opéré chez elle ou dans quelque gîte dont elle est responsable, je suis d'avis que, pour tout le détail quotidien, elle gouverne, libéralement, mais carrément. Le règlement intérieur et le régime alimentaire tiendront compte bien entendu des habitudes et des goûts de chacun, mais ce sera elle qui les fixera. Sous le signe de la simplicité certes; avec cette conviction pourtant que le physique et le moral sont en étroite dépendance et qu'un certain minimum est aussi indispensable à l'équilibre des grands qu'à celui des petits. C'est un fait qu'un repas suffisamment substantiel, agréablement présenté, servi bien à l'heure prédispose les convives à l'optimisme et à la bienveillance.
Pour l'éducation des petits enfants, tout change. L'ordre et la discipline une fois réglés, la seule responsabilité en ligne est celle des parents. L'art d'être belle-mère, c'est pour une très large part celui d'être une grand'mère scrupuleusement discrète, prodigue de services et avare de conseils.
Cette réserve, il faudra à la fois la quitter et s'y tenir à l'heure des échanges de vues. La quitter parce que les jeunes comprendraient mal, et ils auraient raison, que l'expérience en cheveux gris, n'eût pas, sur les problèmes du moment son mot à dire. S'y tenir parce que le respect de l'opinion d'autrui, la tolérance, la recherche de ce qui unit, derrière ce qui divise, qui en donnera le premier exemple si non elle?
Je la vois quelquefois bien lasse, la belle-mère du temps de guerre. Tous ces petits qui s'agitent, tous ces grands qu'il faut aider à se rejoindre, tout ce train et tout ce souci au soir de l'existence, quand le calme et le repos seraient si bons !
La pauvre! Qu'elle se réconforte en se disant que, pour elle aussi, toute cette peine peut et doit-être profitable. Outre que l'exigence de son rôle présent va droit à détruire le type conventionnel de la belle-mère de comédie, personnage méchant et bête, borné, tatillon, jaloux, ce ne saurait être en vain qu'une âme de bonne volonté se sera, des mois et des mois, jour après jour, efforcée - non pas comme on se livre à un exercice gratuit, mais comme on fait face à une nécessité formelle - de respecter, de comprendre, d'unir, de dégager l'essentiel du contingent et de ramener toutes les choses, petites et grandes, à leur valeur absolue. Tricoter des layettes dans un fauteuil est à coup sûr moins fatiguant. A coup sûr aussi moins enrichissant.
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