Accueil
   

 

 

 

RECHERCHES
Rechercher un mot dans les articles:


Recherche avancée
• par mots
• par thèmes

ARCHIVES DE TOUS LES ARTICLES



AUTRES MENUS
ACCUEIL
ADRESSES
  • Adresses utiles
  • Bibliographie
  • Liens Internet
LE JOURNAL






Les « Entretiens sur l'éducation » est un mensuel publié sans interruption depuis plus de 100 ans.
Le site www.entretiens.ch vous offre la possibilité de consulter en ligne ces extraordinaires archives parcourant/ponctuant au jour le jour l'histoire de l'éducation familiale d'un bout à l'autre du XXème siècle.
La survie de la brochure mensuelle imprimée parallèlement à la distribution virtuelle à travers le site est le garant de la poursuite de cette aventure. La rédaction est assurée de façon bénévole par un groupe de parents passionnés par la réflexion et l'écriture autour du vécu familial. Les frais d'impression du journal et la gestion du site (100 000 pages demandées par mois??)....30.- par an (20€).
En dehors du grand intérêt pour vous de cette matière exceptionnelle, que vous soyez jeune parent, chercheur dans une université ou simplement intéressé par l'évolution des comportements humains, votre soutien par l'intermédiaire d'un abonnement nous est indispensable.
Pour les pays lointains et si vous ne désirez pas profiter de la version papier, un abonnement sous forme de pdf est accessible au même prix annuel de CHF 30. Il vous donne un accès complet aux archives
RETOUR

Observations d'une cheftaine

Nous avions promis aux louveteaux de faire un pique-nique. Il ne fallait pas perdre une si bonne occasion de préparer le brevet de « travaux ménagers» ; les garçons achèteraient eux-mêmes les provisions et feraient toute leur cuisine. Plusieurs d'entre eux appartenaient à des familles très modestes et, comme nous ne voulions pas leur imposer de dépenses exagérées, nous leur avions demandé d'apporter «la somme que leur maman aurait dépensée pour leur déjeuner».

Le jeudi suivant presque tous les louveteaux arrivent avec… 10 francs*. Seul un des plus aisés et des mieux élevés n'avait que 5 francs.

Nous décidons le menu, et nous envoyons chaque louveteau acheter qui, la viande, qui, les pommes de terre, qui les cerises. Tout le monde se retrouve au rendez-vous et on fait les comptes. Roger déclare fièrement: «Voilà la viande; il y en avait pour 21 fr., mais j'ai dit au boucher que j'avais seulement 20 fr. - Mais Roger, ce n'était pas vrai, tu avais 30 fr. « - Oui, mais en disant ça j'ai payé moins cher. » Petit mensonge et petit vol. Voilà un gamin qui avait certainement l'habitude de faire les commissions, et à qui sa mère avait enseigné que tous les moyens sont bons, pourvu qu'on paye moins cher.

Edouard présente des pommes de terre toutes flétries: « Elles ont coûté 2 fr. 75 le kilo. - Où as-tu pu trouver des pommes de terre aussi vilaines? Je t'avais dit d'aller au marché où les pommes de terre nouvelles coûtent 2 fr. le kilo. - Ah Moi ! j'ai été à l'épicerie près de chez nous. » Sa mère est évidemment une maîtresse de maison peu intelligente; elle ne songe pas à comparer prix et qualité avant d'acheter.

Jean devait acheter du sel. « Il y en a pour 85 centimes. - Bon : rends-moi la monnaie. - Mais, cheftaine, je n'en ai plus. - Comment, tu n'en as plus? Tu avais 10 fr., qu'en as-tu fait? - J'ai acheté des cerises. - Mais c'est François qui était chargé d'acheter des cerises, pour nous tous. - Ah ben, celles-là je les ai achetées pour moi; je les ai déjà mangées. - Et puis? - Et puis j'ai rencontré un remouleur et j'ai fait repasser mon couteau. - Et puis? - Et puis j'ai acheté une glace ; c'est tout. » Jean qui avait apporté 10 fr. n'avait pas de quoi payer son déjeuner. Voilà un enfant incapable de résister à la tentation de dépenser sans réfléchir l'argent qu'il a entre les mains.

Cette expérience nous montrait: 1° que les parents ne se sont jamais souciés d'apprendre à leurs enfants à dépenser raisonnablement leur argent; 2° qu'ils mettent beaucoup trop d'argent entre les mains de leurs enfants. Il est évident que 10 fr. pour un déjeuner c'est trop. D'autre part, il suffit de passer dans la rue le jeudi pour observer une masse d'enfants qui attendent l'ouverture du cinéma, dévorent les illustrés aussi immoraux que bêtes et vulgaires qu'on nomme les journaux d'enfants, et achètent chaque jour des marrons en hiver et des glaces en été. Par conséquent, leurs mères ne leur refusent jamais les quelques francs nécessaires pour s'abîmer l'âme et l'estomac… Mais nous autres cheftaines, nous savons bien quels gémissements nous entendrons lorsque nous irons réclamer une cotisation, ou demander qu'on achète un uniforme.

Lorsque ces enfants commenceront à gagner, ils continueront à dépenser au fur et à mesure en plaisirs immédiats au lieu d'économiser en vue d'achats utiles. Et l'on comprend que la jeunesse, habituée à dépenser sans compter pour s'amuser, recule devant les frais d'une famille même peu nombreuse.

Une réunion de parents nous donna l'occasion d'attirer l'attention des mamans sur cette grave question. « Il ne s'agit pas, leur avons-nous dit, de priver complètement les enfants d'argent. Au contraire, ils doivent en avoir un peu, pour s'habituer à gérer convenablement leur petite fortune. Mais ils doivent apprendre à le respecter; s'ils le reçoivent sans faire aucun effort chaque fois qu'ils le demandent, ils oublieront que leur père l'a gagné par son travail. Pour que ces deux termes : travail-argent soient étroitement liés dans leur esprit, il faut que les enfants gagnent les sous que vous leur donnez maintenant au hasard. Le système qui consiste à payer les bonnes places ou les bonnes notes n'est pas à recommander, car il augmente la tentation de coper ou de tricher; de plus, on doit reconnaître que les succès scolaires ne sont pas toujours proportionnés à la peine qu'on se donne: il faut que les derniers de la classe puissent faire aussi la salutaire expérience de l'argent honnêtement gagné. Dans un jardin, il est très facile de trouver de nombreux travaux rémunérés ; dans la maison aussi. Mais il faut se rappeler que les travaux ménagers ne sont pas le monopole des filles; les garçons peuvent et doivent y participer pour leur bien présent et pour le bonheur de leur futur ménage.»

Ni la civilisation moderne, ni le système d'instruction actuel ne facilitent l'éducation, c'est évident; mais c'est justement pour cela que les familles doivent faire l'impossible pour donner aux enfants l'activité et la responsabilité qui leur manquent ; le problème de l'argent n'est qu'un des aspects de ce grand problème de la responsabilité enfantine.

* Argent français, l'article ayant été publié dans une revue française.









www.entretiens.ch fait partie du réseau « NETOPERA - culture - société - éducation sur Internet » et pour la photographie PhotOpera - Uneparjour || DEI - Défense des Enfants - International
ROUSSEAU 13: pour allumer les lumières - 300 de Rousseau  ROUSSEAU 13: les IMPOSTURES - 300 de Rousseau - portraits déviés PHOTOGRAPHIE:Nicolas Faure - photographe d'une Suisse moderne - Le visage est une fiction - photographie de l'image brute - Laurent Sandoz - comédien et acteur professionnel - Genève