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Les jouets pour les petits Français
François a cinq ans, sa grande soeur en a sept. Elle est rentrée de l'école avec un mot de sa maîtresse demandant des jouets usagés pour les petits Français. Elle en est très préoccupée, cherche avec zèle, parmi toutes les choses qu'elle possède, ce qu'elle pourra donner. L'après-midi, déjà, elle porte à l'école un affreux petit chat rouge et une balle de caoutchouc comme on en donne chez les marchands de chaussures. Elle trouve que ce sont de très beaux cadeaux, bien suffisants. Le soir, elle pense encore à son petit téléphone de fer-blanc. Au total, je suis un peu déçu de cette générosité.
Le soir, quand ils sont au lit, je propose de demander à Jésus ce qu'il en pense. La petite n'est pas tellement d'accord ; elle prétend qu'elle n'entend jamais rien. Je lui explique qu'on n'entend pas en général des voix comme Jeanne d'Arc, mais que si on demande à Jésus de nous donner de bonnes idées, il nous en donne. Je lui parle aussi d'Ananias qui a discuté et arrangé une bonne idée qu'il avait reçue. Ensuite on se tait pendant un moment.
Elle dit : «Il m'a dit de t'aimer et d'aimer maman.» C'est à peu près comme d'habitude. Puis François : «J'ai pensé, je crois, j'ai une idée. Je veux donner mon théâtre Guignol. » Il a dit ça d'un air tout net et joyeux, mais moi je suis sous le coup. Son théâtre Guignol qu'il vient de recevoir à sa fête, c'est son grand grand triomphe, et il ne vient pas une personne à la maison qu'il ne lui propose une représentation où tout le monde meurt pour finir. « Tu crois vraiment que tu veux le donner? » Il répond: «Je ne sais pas. Je crois que oui, j'ai seulement eu cette pensée. Je ne sais pas si elle est de Jésus. » Sa soeur est furieuse comme je l'ai rarement vue. Elle proteste et discute: que c'est trop beau, qu'il ne faut pas donner ce qu'on aime, que grand'maman ne sera pas contente, qu'il avait dit que le théâtre était aussi un peu à elle. Je lui dis : « Il ne faut pas discuter. Mais on peut écouter de nouveau si tu veux. » Quant à moi, je pense qu'il ne faut pas que j'intervienne, mais j'ai un peu peur que le petit ne soit tenté. Après un petit moment de silence, elle affirme d'un air sombre qu'elle n'a rien entendu. Mais François dit de sa voix claire : « Je crois que je veux le donner. Je pourrai quand même faire du théâtre en faisant le paltoquet. » C'est tout pour ce soir-là.
Nous sommes tout émus de cette bataille. Ma femme, qui entendait de sa chambre la conversation, pense à ses petites mains qui font si bien aller les poupées. Moi, je pense que j'aime mieux avoir les petites mains de François et pas les poupées, que les poupées seules conservées dans un tiroir, et pas les petites mains de François.
Le lendemain, François annonce triomphalement qu'il a rêvé des rêves affreux, du diable, des pensées du diable, et certaines en ont en effet un peu l'air. Une fois que sa soeur est partie pour l'école, j'écoute de nouveau avec lui. Il ne croit plus qu'il doive donner son théâtre, mais plutôt son uniforme de soldat et son casque, et peut-être aussi son petit cochon de chiffon que sa mère lui a fait. Pour de petits réfugiés de guerre, c'est manifestement moins indiqué et il y a du trouble dans son coeur. Aussi je suis un peu triste et déçu, maintenant, et je doute qu'il dise bien le fond de sa pensée. Mais nous n'en reparlons plus.
Plus tard, à la fin de l'après-midi, tandis qu'il joue tranquillement sur le tapis avec son «meccano» et semble très absorbé par ses pièces, il s'arrête tout à coup et déclare: «Tu sais, papa, le théâtre Guignol, je crois, c'est comme dans l'histoire d'avant Jésus. » (Cela veut dire l'Ancien Testament). Tout éberlué, je lui demande quelle histoire. « Je ne sais plus très bien, tu sais.., il devait tuer son fils sur un bûcher, et puis il a plus dû. » Et sa voix est tellement limpide que je sens bien qu'il dit vrai et que Dieu lui a laissé son théâtre.
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