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La découverte de la nature
Au début de la guerre, notre école parisienne était venue s'installer dans une région que nous ne connaissions pas. Aucun de nous, moi comprise, n'avions passé un hiver entier en pleine campagne. Aussi avons-nous conçu la découverte de la nature environnante comme un travail d'exploration impliquant une curiosité sans cesse en éveil, curiosité multiple portant à la fois sur la flore, la faune, les travaux agricoles, la géographie humaine, le souci d'approfondir le pourquoi, le comment, la raison et le but de chaque chose; la notation personnelle, au moyen de dessins et de textes, des moindres observations nouvelles. Mais devant tant d'inconnu (changement d'aspect de la région au cours des différents mois) nous n'avons pas suivi un programme déterminé à l'avance. Nous avons adopté comme sujet d'étude ce qui, momentanément, intéressait le plus l'un de nous, la dernière trouvaille, le dernier travail agricole. Les résultats sont modestes, imparfaits. Ils pourront toutefois, peut être, donner des idées aux parents et au éducateurs. Aucun matériel n'est nécessaire pour faire connaître et aimer la nature aux enfants. Il suffit d'encourager leur curiosité, de développer leur esprit d'observation, et surtout d'être les premiers à s'intéresser avec sérieux et enthousiasme à la vie de la campagne.
Voici les enfants qui composent notre petite classe:
Robert, 10 ans 1/2, garçon réfléchi et profond, parlant peu. Le plus grand et le plus fort de tous. Son cahier d'observations est le plus complet;
Jean, le cadet, 8 ans, lourdeau, grosse tête et démarche de canard, s'intéressant presque exclusivement à la nature, aux fleurs, aux bêtes;
Michel, le petit intellectuel à lunettes, qui vivait replié sur lui-même;
Philippe, léger et superficiel;
Henri, indiscipliné et turbulent, qui joue, peut-être, le mieux de tous, son rôle d'explorateur;
Marc, l'élève consciencieux;
Françoise et Colette qui, les premiers temps, avaient horreur de sortir et poussaient des hurlements de frayeur devant le moindre insecte.
Octobre.
Premier contact des enfants avec la nature. Sentiment de liberté. Ils n'observent guère, mais courent, escaladent les talus, enjambent des ruisseaux, cueillent des mûres le long des haies et les mangent. Ils prennent physiquement possession de leur nouveau milieu.
Début des rapports avec les cultivateurs; un homme gaule des noix dans un pré au bord de la route. Les enfants, l'apercevant, se précipitent sous l'arbre et remplissent leurs poches de noix. Je les arrête, salue le gauleur, m'excuse de la conduite de mes élèves et leur demande de vider leurs poches. L'homme sourit et leur dit de conserver les noix qu'ils ont ramassées. Je remercie et fais remercier les enfants; puis demande au gauleur, s'il compte faire de l'huile avec ses noix. Pendant toute cette scène les enfants ont été tour à tour surpris, étonnés, puis intéressés. Il n'avaient vu d'abord que les noix; ils écoutent maintenant attentivement l'homme répondre, et avec moi lui disent « au revoir». Le lendemain, je demande une description du travail du gaulage des noix : Michel prétend que l'homme avait un sac, alors que Robert assure qu'il employait un panier; personne n'est d'accord sur la longueur de la gaule. – « La prochaine fois, nous regarderons mieux ! »
Dans les champs nous nous sommes embourbés un jour et, après la pluie, certains prés sont restés inondés. «Cette terre contient de l'argile ». Je fais trouver aux enfants les caractères de l'argile, et j'ajoute : « L'argile mouillée peut se modeler; on la durcit ensuite au feu, et de cette manière on obtient des briques, des tuiles, etc., etc. » Le jour même, les enfants cherchent à manipuler la terre des champs. Je me montre sceptique sur les résultats: «Il vous faudrait de l'argile pure. » Mais les enfants persévèrent dans leur expérience, et le soir, à côté des chaussures mouillées, je vois d'informes vases en terre séchant devant le feu de cheminée. - Ils se brisent. - Les enfants conviennent alors que j'avais raison. - « Puisqu'il y a tant d'argile dans le pays, les habitants ont dû l'employer dans la construction de leur maison. » Nous partons donc observer dans la ferme voisine tout ce qui est en argile cuite. Lequel de nous découvrira le plus de choses? Avec enthousiasme nous énumérons au retour nos découvertes : tuiles, pots de fleurs, tuyaux, briques, etc., etc.
Les constructions sont aussi en calcaire. Au cours d'une promenade dans les environs, j'ai découvert une carrière et un four à chaux. C'est trop loin pour que j'y conduise mes élèves, mais ensemble nous observons les fossiles qui se trouvent dans le bloc de calcaire que j'ai rapporté « Dorénavant nous saurons qu'à une époque extrêmement ancienne la mer recouvrait notre région ; ces coquillages en témoignent ». Bien entendu, une partie du bloc de calcaire disparaît le soir même dans la cheminée. « Nous voulons fabriquer de la chaux », dit Jean. Plus loin, près d'une ville dominée par un château de granit rose, je trouve des carrières de ce granit. Quand je le montre aux enfants, ils reconnaissent aussitôt les cailloux dont on a empierré dernièrement un chemin de terre. Pendant quinze jours nous nous passionnons alors pour la géologie, pour la minéralogie ; nous faisons une collection de pierres trouvées par es enfants et étiquetées par eux. Elle comprend également un morceau de brique obtenu en cuisant de l'argile pure et un bloc de chaux vive, « morceau de craie brûlée avec du charbon dans la cheminée ».
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