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Le retour des Barbares
Nos barbares sont en vacances, tous ceux qui peuplent nos écoles, nos places, nos promenades, nos maisons, Saint-Antoine, la Plaine, la Treille, le Bourg-de-Four. Tant qu'ils sont ici, qu'ils vivent avec nous, surtout tant qu'il faut vivre avec eux, il est vraiment difficile de les apprécier équitablement et de les voir tels qu'ils sont. Profitons du recul momentané qui nous permet une appréciation plus équitable et une mise au point de la vision. Ils sont partis pour les villages et les fermes de campagne et de montagne. Je voudrais que vous eussiez de ces « Colonies de vacances » autre chose que le bref soulagement d'un grand garçon rêche ou d'une petite fille grognonne. Tâchez de vous débarrasser, pendant cette trêve, de la convention absolument fausse dans laquelle la plupart des parents vivent. Vous traitez et vous jugez vos enfants comme s'ils étaient de jeunes civilisés et de jeunes chrétiens.
Je voudrais vous persuader de constater qui ils sont et d'accepter qu'ils soient de jeunes barbares et de jeunes païens.
Il faut qu'ils le soient. Spontanément, ils ne peuvent pas être autre chose. S'ils ne le sont pas, c'est qu'ils sont anormaux, de cette affreuse anomalie que la civilisation distille de plus en plus. Des parents intelligents doivent prendre leur parti de cette période de barbarie qui clôt la petite enfance et introduit l'adolescence. Il faut qu'il n'en étouffent ni l'exubérance ni même l'incongruité. Dès qu'ils constateront dans la vie de leur enfant un nouveau canal où l'exubérance peut se déverser plus utilement, ils fermeront peu à peu les valves par où s'échappait jusqu'ici le trop plein. Mais ils le feront comme le bon jardinier, qui ne taille pas pour tarir la sève, mais pour lui donner une direction plus féconde.
N'attendez pas de vos enfants les qualités dont vous, adultes, appréciez la valeur. Ce ne sont pas nos qualités civilisées qui parlent aux adolescents. Celles qui les enchantent sont les qualités barbares, la force violente et le courage physique, l'endurance visible et la hardiesse, l'audace des entreprises et l'ardeur à lutter, la capacité du succès à tous prix, l'arrivée au but par les détours nécessaires. Ce sont là des qualités à conserver jusqu'à l'heure où naîtra chez eux l'aptitude à les réformer, à les conformer au vrai sens de la vie. Mais à l'âge de vos enfants, ces qualités sont ce qu'elles sont et valent ce qu'elles valent. Il faut les voir et les apprécier, et ne pas les vouloir autres ou en vouloir d'autres. C'est sur elles, et non malgré elles, que l'avenir de ces enfants peut être établi.
Pendant qu'ils ont vacances de vous et que vous avez vacances d'eux, pendant leur plongée trop brève en pleine nature et en plus libre barbarie, préparez-vous à leur retour en comprenant mieux leur état actuel, sans déclarer la guerre à tout ce qu'il y a en eux de si normalement barbare. Ne cherchez pas à leur instiller ces vertus civilisées que de longues années ont établies intimement en vous, ni surtout celles dont vous n'êtes que vernissés. Il ne s'agit pas de les laisser tout faire. Si les enfants, a dit Rousseau, doivent être aimés et secourus, ils ne doivent pas être obéis et craints. Mais laissez-les être vivants, même dans ce qui vous agace et vous paraît absurde.
Quand une âme vit, elle se concentre tout entière sur l'acte à accomplir. Sachez apprécier la vie de vos enfants même quand ils se concentrent sur des actes à accomplir qui font grincer votre raison d'adulte. Toutes les promesses de l'avenir ont leurs racines plongées dans ces réserves de la barbarie adolescente.
Et ces jeunes barbares, ne les traitez pas comme s'ils étaient de jeunes chrétiens et ne vous attendez pas à ce qu'ils le soient. Ils ne le sont pas. De nature ils sont païens. C'est très exceptionnellement que des enfants, même des adolescents, sont chrétiens. Il y a même si peu d'adultes qui le soient. Nous qui le sommes, nous le sommes si partiellement. Mais l'âme païenne a les qualités natives qu'il faut pour devenir chrétienne. Voilà pourquoi la forêt chrétienne demeure vivante malgré tout le bois mort des vieux arbres. Le Christ parle aux qualités païennes pour les faire passer du domaine idéal dans le domaine vivant, et aux faiblesses païennes pour nous en faire honte et pour les vaincre
Nous ne pouvons pas faire de nos enfants des chrétiens en les empêchant de commencer par être ce qu'ils sont, des barbares et des païens. Mais Jésus a dit: « Laissez venir à moi les enfants» parce que Lui sait merveilleusement faire d'un jeune barbare ou d'un jeune païen un jeune chrétien. Nous verrons avec confiance revenir des champs ou redescendre des monts nos jeunes païens et nos jeunes barbares.
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