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L'heure de la mesure
(Extrait du carnet de notes journalières)
Samedi 2 avril, à 10 heures « Les Penseurs » ont pris leurs « carnets de mesure », comme ils le nomment et ils vont inscrire eux-mêmes, au moyen d'un signe convenu, ce qu'ils méritent en ce qui concerne l'obéissance journalière aux lois acceptées, la bonté, l'ordre, la politesse, la fidélité, l'attention.
Ce moment est souvent précédé d'un entretien tout intime, suivant les circonstances, l'inspiration. Un grand silence règne aujourd'hui. Regardant ces petits visages confiants, je leur dis : - Ah! c'est le mois d'avril, le beau mois qui apporte les fleurs nouvelles, les feuilles aux arbres, les premiers parfums. C'est le mois d'avril, on le voit partout dans notre grand jardin, mais moi, je l'ai vu aussi dans la maison, dans votre classe, dans vos pupitres
BERTRAND : Oui, ça veut dire que c'est le mois des progrès.
- Oui, justement cela, c'est le mois où l'on voit que la pensée a beaucoup travaillé, tandis qu'avant, on ne s'en apercevait pas. Tout était caché.
ROSEMONDE: Ah! moi, je peux vous dire, j'ai compris quelque chose, cette fois.
- Quoi? dis-le nous.
ROSEMONDE : J'ai compris qu'il ne faut pas venir toujours vous demander si ça va bien, parce que ça dérange tout le monde et moi aussi.
- Que je suis heureuse ! c'est un grand progrès cela.
ANDRÉ : Moi aussi, j'ai compris ça: qu'il ne faut pas tout le temps montrer son travail, parce que c'est moi qui dois savoir, parce que je peux vérifier moi-même.
WANDA : Moi, moi, est-ce que je peux dire? J'ai compris qu'il ne fallait pas venir en retard, parce qu'on est malheureux.
NIVES Moi, j'ai compris qu'il ne faut pas ennuyer mes amis, parce que ce n'est pas gentil.
DANIEL : Moi, j'ai tout compris, mais c'est pour les lettres, y en a qui ne peuvent jamais se mettre ensemble et je sais toutes les lois, c'est beau ça.
LOUIS : Et moi, je sais tout pour le nombre.
JANINE: Et puis vous, mademoiselle, dites-nous ce que vous avez compris.
- Oh! moi, j'ai aussi compris beaucoup de choses.
LOUIS : Mais pas les mêmes que nous, parce que vous savez tout.
GUILLAUME: Non, non, vous ne savez pas tout, personne ne peut tout savoir.
DANIEL : Mais dites-nous, dites ce que vous avez compris.
- J'ai compris tant de choses en travaillant avec vous, mais ce sont des choses difficiles.
ROSEMONDE: Eh bien, moi, je sais quoi
vous avez compris que les fleurs sont d'abord des boutons tout fermés et puis qu'ils s'ouvrent, c'est comme ça dans notre jardin.
- Ah! oui, justement, c'est cela que j'ai compris; mais, Rosemonde, je n'ai pas pensé aux fleurs de notre jardin.
WANDA : Non, je sais, vous avez pensé à nous: on est vos fleurs, pour la pensée.
- Oui, vous êtes comme des fleurs.
LOUIS : Mais vous avez dû nous donner à boire; mais, pour notre pensée, c'est pas comme pour les fleurs, mais vous avez tout préparé ce qu'il faut.
- Oui, c'est vrai, j'ai tout préparé. Mais, j'ai compris quelque chose d'autre.
SIMONE: Vous avez compris que, nous, on ne comprend pas très vite quand on est petit.
- Oui, c'est vrai, j'ai compris cela, mais, encore autre chose.
JANINE : Ah! je sais, vous avez compris qu'il faut attendre.
LOUIS : Oui, parce que y en a qui vont vite pour apprendre, et puis y en a qui vont lentement.
ROSEMONDE . Eh bien oui, c'est ça: y a des fleurs qui poussent très vite, et il y en a qui mettent longtemps pour s'ouvrir.
LOUIS : Dites ceux qui vont vite et ceux qui vont lentement.
JANINE : Ah! Louis veut qu'on dise, parce que lui, il va très vite.
CARMEN : Bertrand va aussi très vite, et Wanda et puis Simone et
des fois moi, mais ça dépend quoi.
WANDA: Mais, on ne peut pas dire vraiment, parce qu'on va vite des fois pour quelque chose et pas vite pour autre chose.
DANIEL : Il ne faut pas dire ceux qui vont vite et ceux qui ne vont pas vite. Ce n'est pas nécessaire, ça fait du chagrin, et puis chacun sait pour lui.
BERTRAND: Mais, vous, vous le savez bien pour tous, et ça ne vous fait jamais de chagrin, parce que vous savez tout ce qu'il faut faire pour qu'on « pousse » assez vite.
LOUIS : Mais oui, vous savez qu'il y a de bonnes terres et puis des terres pas bonnes. Mais les jardiniers savent très bien ce qu'on met pour les faire bonnes.
- Ah ! cette fois, tu as trouvé, Louis. C'est cela que j'ai compris. J'ai cherché ce qu'il fallait faire pour aider à mes.. fleurs
pour leur aider à pousser.
DANIEL : Et vous avez pu y trouver?
- Oui.
BERTRAND : Ah ! quelle chance, on peut dire toujours : « Qui cherche trouve ».
LOUIS: Oui, mais pour nous, ce n'est pas du fumier comme pour les plantes.
CARMEN : Oh! non, alors moi, je sais, c'est de.., de
(Carmen cherche) de « l'invisible »
WANDA : Mais alors où ça se trouve?
LOUIS : Eh bien! c'est sûr c'est toujours dans le cour des maîtresses.
DANIEL : Oui, c'est à l'Institut J.-J. Rousseau, y en a, ma maman est là-bas avec M. Bovet et M. Claparède. Mais je sais pas comment ça s'appelle.
BERTRAND : Mais vous le savez, vous. Ça ne peut pas s'appeler de l'invisible, quand même c'est invisible, ça doit avoir un nom, parce que chaque petite chose a un nom.
- Oui, chaque chose a son nom, mais cette fois, c'est un nom très difficile.
DANIEL : Dites-le, dites-le, je le sais dans ma pensée.
- Eh bien, ce qu'il y a dans le coeur et dans la pensée d'une maîtresse, quelque chose d'invisible, mais quelque chose de très puissant, c'est
la psychologie de l'enfant.
ROSEMONDE: Quel joli nom!
BERTRAND (regardant la pendule) On n'a plus que juste le temps d'inscrire dans nos carnets, mais y a pas besoin de beaucoup réfléchir : c'était une belle semaine pour tous.
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