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L'éducation du sentiment (1)

Je désire me placer devant deux préjugés qui se ressemblent comme deux frères, - le premier c'est que ce qui est sentiment est spontané, naturel, ne peut être modifié; le second, c'est que le sentiment ne peut porter que de bons fruits. Ce sont là deux erreurs qui empêchent tout développement, tout perfectionnement de la vie affective, il importe de les comprendre et de les combattre.

Tout d'abord de les comprendre, parce qu'elles renferment, comme tant de choses humaines, une part de vérité.

D'abord qu'appelons-nous un sentiment?

Tout ce qui touche à la vie de notre coeur, par opposition à notre vie physique ou intellectuelle, c'est la manifestation de nos goûts et de nos dégoûts, nos sympathies, nos antipathies, nos aversions, nos susceptibilités, nos jalousies, comme de nos affections, notre dévouement et notre amour.

Tout cela est spontané et par là nous voulons dire que nous sommes nés avec ces choses, qu'elles dépendent en nous de causes si profondes que nous ne les voyons même plus, qu'il y a des raisons qui agissent indépendamment de notre volonté consciente; nous disons: c'est ainsi, je suis ainsi, et je ne peux pas être autrement. Nous disons : j'aime telle personne et cette autre me déplait, et je ne peux pas revenir sur une première impression.

Il serait temps, me semble-t-il, d'en finir avec une idée aussi simpliste et aussi fausse.

Je sais bien ce qu'on veut dire par là: cela signifie qu'on ne veut pas être aimé par devoir, mais par amour - ce qui en un sens se comprend et cela signifie aussi qu'on ne veut pas faire un effort pour vaincre ses antipathies, un vrai effort sérieux et persévérant.

Et pourquoi, je vous en prie, ce qui est spontané et naturel ne serait-il pas éducable? Il est naturel de naître petit et de grandir, de naître ignorant et de s'instruire, de naître aimant et d'apprendre à aimer. Les plantes portent sans effort des fleurs et des fruits, mais vous reconnaîtrez qu'une poire, une pomme, une prune, gagnent à ce que la plante qui les porte soit cultivée, émondée, greffée, et l'on ne fait point de tort aux gracieuses églantines en disant qu'on aime les roses.

Je sais aussi que dans toute affection il y a un côté spontané, inexpliqué, qui est un mystère et un miracle. C'est le côté dont parlait Montaigne disant de son ami: «Je l'aimais, parce que c'était lui et que c'était moi. »

Nous savons aussi que dans bien des cas nous avons commencé par avoir avec telle personne des rapports d'affaires, de travail, de voisinage, que peu à peu l'estime est venue - une méfiance que nous avions peut-être a disparu, un préjugé s'en est allé - notre respect a grandi et à côté de lui la sympathie. Le coeur avait commencé à s'ouvrir et lentement la fleur de notre sentiment a grandi, elle rayonne maintenant et répand un parfum pénétrant comme le grand lys blanc aux étamines d'or, symbole sacré et inaltérable de candeur et de loyauté.
Pourquoi refuserions-nous l'affection de celui qui nous dirait: « Savez-vous, au commencement je ne vous connaissais pas, ce n'est que peu à peu que j'ai compris et, maintenant, j'ai une telle joie à reconnaître que je m'étais trompé, et c'est avec tout mon coeur que je viens.»

Oui, nous pouvons apprendre à aimer.

Car de même que nous pouvons parler éloquemment ou en balbutiant, lire couramment ou en hésitant, coudre, travailler, agir, penser, bien ou mal, de même nous pouvons aimer bien ou mal, de sorte que notre affection peut être pour d'autres une bénédiction ou le contraire.

Je voudrais maintenant en venir au second préjugé d'après lequel l'amour porte toujours de bons fruits. Il y a en effet une théorie littéraire d'après laquelle, par exemple, l'amour maternel a toute science infuse et la jeune mère sait d'instinct soigner son bébé. Permettez-moi de dire que c'est faux. Ceux qui disent cela sont des auteurs et des hommes qui n'y entendent rien. Certainement, il y a dans le fait de la maternité une révélation d'amour, et d'un amour très pur et très désintéressé, mais nous devons convenir que celles qui ont cette révélation splendide sont celles qui y ont été préparées par d'autres affections, qu'il y a des mères qui ne sont que faiblement attachées à leurs enfants, et qu'il y en a beaucoup qui tout en les aimant ne savent pas les soigner et les aiment mal. Il y en a qui font d'emblée les choses comme si elles avaient fait un apprentissage d'autres ont besoin qu'on leur apprenne à tenir un bébé et à le soigner.

Sans doute d'instinct presque toujours, la femme ouvrira ses bras, se placera entre son enfant et le danger - l'amour conjugal ou maternel lui donnera le courage de travailler dur, de braver les privations - aimer beaucoup est quelque chose, c'est d'une grande valeur, ce n'est pas toujours aimer bien. Souvent, elle croira bien faire en se sacrifiant et elle fera des égoïstes. Souvent elle sera négligente, malpropre, étourdie, frivole ; elle ne comprendra rien à ses grands fils, elle n'aura pour leurs incartades qu'un sourire, en disant: « ce sont des hommes », - elle poussera ses filles à la vanité, à la recherche du plaisir, elle ne saura pas faire à ses enfants un coeur droit et une âme noble, quand elle les aura serrés sur son coeur et mangés de caresses, elle croira les avoir élevés, elle leur aura donné la vie et la santé, et ne leur aura jamais appris qu'ils ont une âme. A l'égard de leur mari, nous savons combien de femmes ont contribué à gâcher une vie, à la pousser vers les satisfactions matérielles, combien ont entravé et brisé une vocation. Que d'exemples tragiques on en pourrait donner!

Dès l'enfance il faut apprendre à l'enfant à aimer bien et noblement. L'affection de l'enfant n'est pas en soi nécessairement égoïste et intéressée, ce sont souvent ceux qui l'entourent qui le rendent tel en appuyant l'attrait de la sympathie sur un intérêt de gourmandise: «Viens vers moi, je te donnerai du chocolat » ou en lui apprenant des niaiseries : « Aimes-tu mieux papa ou maman, ou les confitures? » Si au lieu de ces plaisanteries coupables, dont on rit à grand bruit, on disait à l'enfant : «Combien tu aimes cette bonne maman qui fait tant de choses pour toi », on ouvrirait les yeux de l'enfant sur des choses qui lui paraissent naturelles, qu'il ne remarque même plus, on lui apprendrait la reconnaissance.

A mesure que l'enfant grandit il faut lui apprendre à remarquer ce qu'il y a de bon chez les autres, chez ses frères et soeurs. Mais à quoi bon parler des autres et de ce qu'il faut faire pour les enfants? Parlons plutôt de nous-mêmes et soyons pour nous nos propres éducatrices. J'ai à continuer, à perfectionner mon développement intérieur. Je songe souvent à apprendre, professionnellement ou d'une manière désintéressée ; ai-je songé à me rendre compte de ce que sont mes sentiments, et s'il n'y aurait pas là aussi un terrain excellent, mais improductif, à mettre en valeur et à purifier.

Famille, parents, amis, toutes nous avons autour de nous des êtres aimés; demandons-nous sérieusement ce que nous leur avons donné, ce que nous avons été pour eux.

Les avons-nous compris?

Ceux qui sont le plus près de nous ne sont pas nous-mêmes, ils sont à côté; dans beaucoup de choses, leur point de vue sera différent du nôtre parce que leur nature n'est pas la même et que leur position est autre. En fait de différence de nature, nous devons, en les aimant, les aider à atteindre le maximum de ce qu'ils peuvent être; ils en seront plus heureux et nous aussi, que si nous voulons les modeler à notre image. Si le pommier voulait persuader le cerisier de porter des pommes, il en ferait un arbre stérile ; il faut que chacun grandisse selon sa nature, étant compris et encouragé.

Nous comprendrons peut-être alors que ceux que nous aimons aient besoin aussi d'une autre société que la nôtre, d'une société qui réponde à une autre partie de leur nature.

Il y a des êtres égoïstes - ou plutôt égocentriques dans leurs affections. Pour eux le verbe aimer se conjugue surtout à la première personne du singulier et au passif; c'est «je suis aimé » qui importe. Remarquez que dans toute affection il faut être deux au moins. Se dire : « Suis-je aimé? Je suis aimé, je voudrais être aimé », c'est légitime, mais cela dépend d'autrui, et d'un autrui que nous ne pouvons pas toujours persuader, tandis qu'il dépend de nous de dire : « J'aime » et de répandre une affection toujours la même, sans défaillance, sans intermittence.

Essayons donc d'aimer avec compréhension, avec respect, en laissant les autres libres, libres même de ne pas répondre au trésor que nous leur offrons.

Je dirai ensuite : aimons dans nos amis ce qu'ils ont de meilleur, c'est-à-dire que notre amitié soit faite de la mise en commun du meilleur. Dans la famille ou dans l'amitié, associons-nous pour grandir. Il y a des mariages d'intérêt, de convenance, d'amour; nous pouvons avoir avec d'autres des relations d'intérêt ou de travail, comme aussi notre association peut être un entraînement vers le bien. Alors nous serons fières, heureuses, reconnaissantes de ce que notre amie fera de bien, nous chercherons à nous y associer, à grandir avec elle, jamais à l'entraver, à la retenir dans son élan. Alors la tendresse devient un puissant levier, et nous grandissons à côté de celle qui nous montre le chemin.

Considérons que dans toute affection il y a quelque chose de divin. Ce n'est peut-être qu'une petite flamme, un lumignon à moitié étouffé sous des préoccupations et des pensées humaines, mais la petite flamme peut tout épurer et grandir.

Mettons dans notre affection beaucoup de loyauté. Je suppose, cela arrive, qu'il y ait entre nous une divergence, une querelle, irons-nous à droite et à gauche nous plaindre de celle qui nous a fait de la peine? (à plus forte raison s'il s'agit du mari). Non, n'est-ce pas? vous sentez que cela ne doit pas être, que ce serait profaner une belle affection, que nous faisons du tort à notre amie et à nous-même, que nous regretterons plus tard l'excès de notre langage qui a rendu plus profond un fossé entre nous.

Mais ce qui est aussi de la loyauté c'est de dire à notre amie ce que nous blâmons. Souvent on craint, en disant sa pensée, de perdre une amie. Non, si on agit avec douceur et respect, si elle-même est une vraie amie, on ne la perdra pas pour avoir été vraie. Ce qui le fait croire parfois c'est précisément le fait d'avoir manqué de courage, de ne pas avoir dit ce que l'on devait, quand et comme on l'aurait dû. On garde ses remarques en soi comme un mauvais levain, puis un jour, à propos de peu de chose, parce que le coeur est trop chargé, le flot des reproches sort tumultueux comme un torrent, amer, injuste, inattendu, stupéfiant et dévastateur; tandis que si on avait été loyal, on aurait parlé à mesure, tranquillement. On aurait pu s'entendre et peut-être aurait-on constaté qu'on s'était soi-même trompé.

Donc pas d'égoïsme, de la compréhension, de la loyauté et aussi de la maîtrise de soi. Se fâcher contre un ami, c'est déchirer son propre cour, qui à la fois aime et n'aime pas, c'est soulever une tempête intérieure et se préparer une douloureuse souffrance pour le jour, où calmé, on se rappellera ce que l'on a dit, où l'on sentira que l'on a fait de la peine et que l'on s'est diminué à ses propres yeux.

En fait de maîtrise de soi, je voudrais aussi recommander la droiture et la simplicité dans l'expression des sentiments; je n'aime pas les expressions exagérées et je ne crois pas que la sentimentalité mièvre ajoute quelque chose à la force ou à la valeur du sentiment.


(1) Ce travail a été présenté à l'Union chrétienne de jeunes filles de Genève, par feu Mlle Jeanne Meyer, présidente.









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