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La politesse
Je trouve très pénible d'entendre toujours les mères répéter à leurs enfants dis bonjour, dis au revoir. Il arrive souvent que l'enfant refuse ; cela fait une scène et c'est beaucoup moins poli que si l'on n'avait rien ordonné. Il me semble que ces ordres doivent agacer l'enfant et lui faire prendre la politesse en grippe. J'entendais une jeune femme se plaindre de son fils qui ne savait pas encore parler et qui refusait de dire : cici quand on lui donnait un gâteau dans un magasin. « Et pourtant je le force, je lui donne une tape quand il ne veut pas! » Il y a de quoi le dégoûter pour toujours.
J'ai pensé pouvoir compter sur l'instinct d'imitation des enfants et j'ai seulement fait attention d'être très polie avec Michel et devant lui. Très vite il a commencé à dire au revoir; il le dit parfois lorsque la personne qui s'en va ne peut plus l'entendre
Ensuite il s'est mis à me dire: « Meci m'dame », quand je lui donne quelque chose, puis : « Meci rn'dame maman ».
Ma soeur a employé aussi la méthode de l'exemple.
Un jour qu'elle avait tardé de répondre aux appels d'Olivier, celui-ci la reçoit en lui disant : « Tu me demandes pardon maman, que tu n'as pas entendu tout de suite ? » Elle s'excuse. Quelques jours plus tard, Olivier avait attaché si solidement son auto à la voiture de ses soeurs que sa maman n'arrivait pas à les séparer; il est venu lui dire spontanément : « Je te demande pardon maman, que j'ai fait un noeud si difficile à la voiture des petites soeurs».
Je trouve que la politesse est une chose bien utile et bien jolie, et - comme entre un et deux ans les enfants prennent facilement des habitudes, - je demande à Simone de dire « S'il te plaît, merci, bonjour et au revoir ». C'est en même temps le début de l'éducation de la volonté, car je vois souvent l'effort que Simone doit faire pour demander quelque chose en disant tranquillement « s'il te plaît », au lieu de crier.
(Trois mois plus tard). Maintenant l'habitude de politesse est acquise, sauf si quelqu'un lui est antipathique, ou si elle est fatiguée. Je vois que c'était peut-être inutile de lui apprendre les formules de politesse ; elle les emploie spontanément : quand quelqu'un éternue, elle dit: « A tes souhaits !» L'autre jour, elle a failli cogner une dame, et j'ai été toute surprise de l'entendre dire: «Padon, madame».
Il faut respecter le rythme qui est propre au bébé, ne pas vouloir devancer la nature, ne pas mettre de mots dans sa bouche et exiger qu'il répète ce qu'il ne peut pas sentir. Là se pose le problème des formules de politesse ; , et comme il aime à se faire bien voir - il oubliera de moins en moins d'être poli.
Quelquefois, j'avoue qu'il m'est pénible de voir que Nani ne salue pas telle personne à son arrivée, mais quelle compensation quand, dans d'autres cas, elle exprime sa joie de voir ses semblables d'une façon si charmante et naturelle. Elle ne dira pas : « bon jour» quand une amie viendra me voir, mais poussera des cris de joie: «Oh! Ah viens, viens, viens! » la saisissant par la main et l'entraînant dans sa chambre. Au lieu de dire au revoir, ce sera : « Reste là; reste là ! » d'un ton suppliant, ou bien elle criera dans l'escalier: « Viens de nouveau, viens de nouveau! » ce qui correspond évidemment bien plus à un sentiment qu'un «au revoir» appris. Elle dira aussi: « Au revoir madame, au revoir monsieur», chaque fois qu'une personne se lève pour sortir du tram. Je n'exige pas non plus le «s'il te plaît», mais, par les ordres que je lui fais donner, elle s'y habitue. Je lui dis : « Va dire à Henriette : donne-moi une cuiller s'il te plaît ».
L'autre jour, il pleuvait et je me dépêchais de finir un travail au jardin. Michel m'appelle: « Eh! maman, il pleut, viens vite; obéis; veux-tu obéir! » Cette dernière phrase dite exactement sur le ton désagréable d'une grande personne parlant à un enfant. Moi, je ne lui dis jamais obéis. (Quand je lui donne un ordre, je veille à ce qu'il l'exécute, mais je n'emploie pas ce mot). Mais la bonne le lui dit. Je me suis dit que cela confirmait bien nos idées sur la politesse vis-à-vis des enfants. J'ai fait la même réflexion (avec quels remords!) en l'entendant parler à la bonne d'un ton peu aimable ; cette fois, c'était moi qui lui avais donné le mauvais exemple.
Michel, en grandissant, devient moins poli qu'il ne l'a été, soit par timidité, soit par esprit de contradiction. Je lui ai souvent dit : « Pourquoi est-ce que tu n'as pas dit bonjour à cette dame qui t'a dit bonjour? ou merci à cette dame qui t'a donné une pomme? » et il sent combien je voudrais qu'il soit poli, bien que je ne le lui ordonne pas expressément. Le jour de Noël, il était invité à un arbre de Noël, et il y allait tout seul. Avant son départ je lui ai dit : « Tu vas voir beaucoup de dames que tu ne connais pas; je te conseille de leur dire bonjour, parce que je crois que ça leur fera plaisir». Quand j'ai été le rechercher une heure plus tard, j'ai entendu un concert de louanges: « Votre fils est charmant; il est entré dans ce salon comme un gentleman, avec une aisance parfaite; il a dit bonjour à tout le monde sans la moindre timidité, etc
» J'ai pensé qu'il s'était si bien conduit, justement parce que je n'étais pas là pour le surveiller d'une part il était responsable de sa conduite; d'autre part il n'avait pas la pensée agaçante et humiliante : maman voit que je sais ce qu'elle veut.
Je me suis dit aussi que, si nous tenons tant à enseigner la politesse à nos enfants, c'est moins pour leur bien que pour la satisfaction de notre amour-propre. La politesse et l'obéissance, voilà les deux qualités caractéristiques de ce qu'on appelle un enfant bien élevé, parce qu'elles flattent l'orgueil de la mère et son goût de la domination; ce sont des vertus (?) réclames qui sautent aux yeux des étrangers, bien plus que la persévérance, ou le calme, ou le bon sens, ou la sincérité
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