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Chère maman

Décembre.

Chère maman,

Je viens de vivre mon premier Noël à l'étranger. Ce petit rameau de sapin, que tu as eu soin de m'envoyer avec ton beau paquet de fête, a remplacé pour moi l'arbre de Noël. Je l'ai mis sur la table. J'ai allumé les deux bougies. J'ai déposé en demi-cercle les pains de poire, avec le livre et le cahier de musique au milieu. A gauche, au bord de la table, cinq roses s'épanouissaient à côté des petites flammes jaunes. Elles me sont arrivées de Suisse, elles aussi, envoyées tu sais bien par quelles mains…

J'ai joué au violon le cantique de Noël : sur ce violon qui m'a aidé à passer bien des heures solitaires.
La solitude me pèse doublement pendant les fêtes, tu le devines. J'aime à me trouver seul au milieu du brouhaha de la grande ville. Mais quand l'heure est venue de s'asseoir pour se plonger dans le silence où l'on rencontre Dieu qu'on avait oublié parmi les bruits des hommes, alors on voudrait voir l'éclat des chandelles se refléter dans des yeux aimés. L'heure est trop sacrée, trop lourde, pour un coeur solitaire.

Et vois-tu, les pains de poire seraient aussi plus faciles à digérer, si quelqu'un les mangeait avec vous. Chaque bouchée m'étrangle, c'est plus fort que moi.

Mais est-ce qu'on ne désire pas toujours avoir quelqu'un avec qui communier dans le bonheur, tandis qu'on veut être seul pour les heures de tristesse ? J'ai souvent souffert ici en face de la beauté dont je ne pouvais partager la joie avec personne. Il y a quelques jours je suis allé au Musée Rodin. J'y fus si accablé d'impressions magnifiques que c'en était presque un tourment. La merveilleuse chasteté de la Danaïde, inclinée dans la pure nudité de son corps; le groupe puissant des Bourgeois de Calais qui, en habits de pénitence et le visage humilié, s'en viennent remettre à l'ennemi les clefs de la ville; et Balzac, dans son coin sombre, dominateur et brutal, plein de laideur et de vérité !

Et quand je sortis par les allées plantées d'arbres que Rilke aimait tant, je vis les froids nuages d'hiver s'avancer sur la vaste esplanade des invalides, accourant de loin au-dessus des maisons engourdies par le gel. Alors je sentis en moi un désir violent de travailler, moi aussi, à pétrir l'âme des hommes par la parole, la musique, la pierre.

Je sentis ce qui allait advenir si j'essayais maintenant de créer, comme Rodin, dans un don total de moi-même, au service non seulement de la beauté, mais avant tout de la profonde vérité.
Un sentiment de bonheur m'envahit, d'une rare intensité, et j'aspirais à faire sentir à quelqu'un combien j'étais comblé et prêt à me vouer à une tâche qui jusqu'alors me donnait le vertige. Une pression de main eût suffi, un regard qui dit oui, - et je me serais mis à l'ouvre. Mais personne n'était là pour me soutenir sur ces sommets, et avant que je fusse rentré chez moi, la foi en mon travail s'était dissipée dans les brumes du doute.

«Si j'avais eu à ce moment, une femme qui m'eût aimé, jusqu'où ne serais-je monté? On ne peut tout seul garder la foi en soi-même. Il faut que nous ayons un témoin de notre force : quelqu'un qui marque les coups, qui compte les points.., comme autrefois à la distribution des prix, chargé de livres, je cherchais des yeux maman dans la foule. »

Il y a longtemps que j'ai transcrit ce passage de Mauriac; j'ai même oublié de quel livre il est extrait. Mais j'en comprends mieux que jamais le sens.

Prends soin de ta santé, par ce froid. Peut-être le foulard que je t'ai donné te tient-il un peu au chaud. Mais je ne veux pas que tu le donnes à ma soeur, comme tu l'as fait pour d'autres choses. Il est pour toi. Excuse la modicité de mes cadeaux. Si l'on pouvait acheter de l'amour pour Noël, tu sais bien que la chambre serait trop petite pour contenir mon envoi.

Mille bonnes choses.









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