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Dans un camp

Le numéro de décembre des Entretiens sur l'Education contenait le récit des fêtes de Noël 1942 dans un camp d'internés civils en France. Les fragments suivants concernant l'ouvre sociale et spirituelle accomplie dans ce camp sont extraits des lettres d'une jeune Française de 19 ans à une amie en Suisse.


18 novembre 1942.
Notre petit foyer est toujours archi comble. Nous le chauffons un peu - assez peu car nous manquons de combustible - et tous viennent chercher ici un peu de chaleur et d'intimité. A peu près tous les soirs, nous avons une petite causerie faite par un hébergé. L'autre jour, il y avait un bonhomme qui a fait une conférence sur les cultures allemandes et françaises… C'était intéressant, et tu sais l'atmosphère du foyer est bien sympathique. Tout le monde était groupé, tassé autour du poêle; après la conférence on bavardait…
Pendant mes heures de permanence au Foyer, qui pourtant sont considérées comme des heures de repos par rapport aux heures de visites aux baraques et à l'infirmerie, c'est une procession ininterrompue de quémandeurs qui viennent à moi.

17 décembre …
Les pauvres demandent à manger et des habits - et je prends leur nom pour faire une petite enquête. Les malades demandent une intervention auprès du médecin pour les faire transporter soit à l'infirmerie soit à l'hôpital… Lettres à écrire concernant l'un ou l'autre…
A 19 h 30, conférence au Foyer, sur les problèmes de l'après-guerre : le travail. Une autre fois, on traitera : l'argent; une autre fois : les colonies.
Après la conférence, grand débat, au cours duquel chacun dit son opinion: un directeur d'usines, un rédacteur de grand journal, un ingénieur, etc. Tout cela est évidemment passionnant. A 22h30, retour dans ma chambre (à 4 kilomètres du camp, puis une fois au lit préparation du culte de dimanche, fait le brouillon en gros de mon sermon. Enfin dormir; il était 0h.30.

20 décembre.
Je suis toujours estomaquée des réactions des gens après les sermons. Quand je me rappelle les temples ordinaires, où les gens s'en vont «pépèrement» chez eux avec une âme paisible, satisfaite et endormie ici on voit que ces gens n'ont vraiment rien d'autre; il y en a qui s'accrochent littéralement à ce qu'on dit c'est d'un côté, bien chic de voir qu'on « tient » son public ; d'autre part,: ça laisse à réfléchir, quand on est tenté de bâcler son sermon en deux heures de préparation… pendant lesquelles on pense à autre chose.

Ce matin, il y a un type - un Juif - qui est venu après le culte me dire « C'est bien cette prière que vous avez dite; pouvez-vous me la répéter?» Il s'agissait tout simplement. du «Notre Père ». Je le lu ai indiqué dans l'Evangile et ce soir, il l'avait entièrement appris. Drôles de bonshommes, drôle de «boulot»… -mais tout ça empoignant, passionnant…

12 janvier 1943.
Tout le monde ici a pas mal de cafard… Nous circulons dans les chemins détrempés et, boueux, ou bien nous sommes dans les baraques dont tu imagines peut-être l'état. Le Foyer est inondé par les fentes sous la porte, et on marche dans l'eau jusqu'au milieu de la pièce… Tu penses quel sont les résultats de ce confort sur nos malades!

8 février.
Maintenant il y a au Foyer, une conférence par semaine, une soirée de récréation, deux cours d'anglais en projet, un cours de français et une étude biblique chaque mercredi soir. Accidentellement; j'ai été chargée de faire la première. Maintenant j'en ai entièrement la charge… Mais il faut que je te narre la première séance. On n'avait annoncé cette étude biblique que le dimanche après le culte, et aux habitués du Foyer, et pas dans les baraques, parce qu'on projetait quelque chose d'un peu intime avec peut-être une douzaine de personnes… Et le mercredi soir quand je suis arrivée au Foyer, il y avait là 60 types!!! Protestants, catholiques, juifs, communistes… des Allemands, des Espagnols, de tout… « Flûte alors ! que je me suis dit, il doit y avoir erreur.». - Alors j'ai pris ma plus belle voix pour clamer: « Ce soir, le Foyer n'est pas ouvert au public. Personne ne pipe. Je rajoute: « Il y a étude biblique… » Pas un remous. Alors j'explique gravement: « Une étude biblique, çà étudie la Bible, la Bible c'est la parole de Dieu. De Dieu! - Oui, alors c'est quelque chose de grave, de religieux de très sérieux. Il faut que ne restent ici que ceux qui ne parleront pas, ne fumeront pas, ne bougeront pas » etc …. Tous mes bonshommes ont éteint leurs mégots et arrêté leurs conversations. Mais pas un n'est sorti. Perplexité de M. devant un public si mêlé… On avait comme texte Math. I, 1 à 18 Commenter çà à tout ce peuple, ça c'était du sport… J'ai commencé par expliquer en très, très gros ce que c'était que la Bible, l'Ancien et le Nouveau Testament, Jésus-Christ, etc…. et j'ai démarré sur mon texte. Après trois quarts d'heure de laïus ouf! j'ai dit ,: « Posez des questions. » Et le pire. ou le mieux - c'est qu'ils en ont posé. Ah, mes aïeux, quelle soirée. J'étais rouge… et je me débattais pour bien répondre. Mais quand je pense aux études bibliques de paroisse, bien sages, sucrées, pieuses, bienfaisantes modérément, et suivies avec un zèle ordonné et modeste, je t'assure que j'aime mieux celles d'ici. Les gens étaient pour de vrai intéressés. Un exemple: Un homme qui vient me trouver à la fin et me dit : « Diese Stunde war eine Erlebenis ». Une autre vieille de 65 ans qui me dit le lendemain : « J'ai à peine dormi cette nuit. Jusqu'à 4 heures du matin, j'ai pensé à vos paroles. C'est un monde nouveau qui se révèle. » Et celle qui, en rentrant dans sa baraque, après avoir bien attrapé les autres de n'être pas venus, commence illico à leur raconter tout ce qui venait d'être dit, etc.

Ce soir, deuxième étude biblique; j'ai « laïussé » brièvement sur Mathieu I, 18-25. Je ne sais pas si tu te rends compte de ce que cela représente quand on se trouve devant un public dont les neuf dixièmes sont incrédules. Il a fallu leur faire digérer ça et, naturellement, ils n'ont pas dit oui et amen à tout, heureusement d'ailleurs, ça aurait prouvé qu'ils étaient tous des idiots. Mais le plus chic ce sont les types (beaucoup) qui viennent vous trouver après et vous poser des questions, juifs, «croyants», communistes, etc.

25 février.
Maman est venue me visiter pour cinq jours et a vu beaucoup de choses; elle a été si chic, tu sais, et m'a beaucoup aidée, s'est mise « au travail » à mes côtés, très spontanément, et pour beaucoup cela a été un vrai secours.

28 février.
Mercredi, jour du départ de bien de nos amis, j'ai fait l'étude biblique sur Matt. 3. « Repentez-vous. » Je ne sais comment je me suis débrouillée, j'étais moi-même terriblement émue et pouvais à peine parler. Après mon laïus, les bonshommes pleuraient et moi j'avais toutes les peines du monde à parler d'une voix bien ferme. Mais ça a servi à quelque chose - aujourd'hui dimanche, j'ai prêché sur Daniel 111 et j'avais tous ces visages tendus vers moi, avec ces coeurs accrochés à mes paroles - c'était bouleversant, tu sais, je ne suis pas sentimentale mais quand même…

Maman est partie vendredi après midi, après une semaine passée ici. Les derniers jours où elle était là, elle n'a pas pu entrer dans le camp, qui était consigné… et moi, je ne pouvais même pas sortir librement du camp… elle était enfermée dehors et moi dedans. Mais elle était avec moi à la gare, lors du départ de nos amis, et elle a vu et elle a beaucoup compris. Tout le monde l'a aimée au camp, et on a dit si gentiment qu'elle était digne d'être ma maman… et nous avons passé toute notre semaine à être fière l'une de l'autre. Elle a fait la connaissance de mes amis… et je la sens plus près de moi maintenant qu'elle a vu.









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