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Les « Entretiens sur l'éducation » est un mensuel publié sans interruption depuis plus de 100 ans.
Le site www.entretiens.ch vous offre la possibilité de consulter en ligne ces extraordinaires archives parcourant/ponctuant au jour le jour l'histoire de l'éducation familiale d'un bout à l'autre du XXème siècle.
La survie de la brochure mensuelle imprimée parallèlement à la distribution virtuelle à travers le site est le garant de la poursuite de cette aventure. La rédaction est assurée de façon bénévole par un groupe de parents passionnés par la réflexion et l'écriture autour du vécu familial. Les frais d'impression du journal et la gestion du site (100 000 pages demandées par mois??)....30.- par an (20€).
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Réfugiés

Fin septembre 1944. A midi la radio annonce: La Croix-Rouge suisse, secours aux enfants, cherche des familles disposées à accueillir des enfants français réfugiés, arrivés à Genève cette nuit.
Ce même appel a été lancé dans maintes villes suisses et de nombreux parrains et marraines se sont heureusement offerts. Dans leur désir de venir en aide à ces enfants, dans la pitié qui les étreignait ont-ils tous réalisé le drame de ces jeunes vies. Je voudrais raconter ici quelques scènes vécues.

***

Beaucoup d'entre nous ont saisi les difficultés, la cruauté qu'il y a à séparer les frères et soeurs. En général, les parents, au moment du départ, ont confié les petits aux plus grands, que ce soient des frères, soeurs, cousins, voisins parfois.
« Vous ne vous quitterez pas, quoi qu'il arrive » leur a-t-on recommandé. Vient le moment de la répartition. Un grand voit partir son frère ou sa soeur, et l'angoisse le saisit.
Une dizaine de grandes filles s'excitaient et pleuraient. « Non, j'aime mieux repartir! Je me sauverai après avoir repris mon frère, ma soeur!… c'est dégoûtant de nous séparer !… j'avais promis de ne pas le quitter. »
Comment les calmer, ces fillettes? Enervées par la séparation, fatiguées du voyage, angoissées par l'inconnu devant lequel elles se trouvaient, les mots ne les atteignaient plus. On leur promettait qu'elles auraient l'adresse de leurs frères et soeurs, qu'ils se reverraient. L'une d'elles alors s'est dressée, et jetant un vrai regard de bête traquée : «Mon père est prisonnier en Allemagne, le reverrai-je? Ma mère, après notre départ, rejoignait le maquis comme infirmière, peut-être est-elle déjà morte. Il ne me reste que mon frère, on me le prend. Vous me dites que je pourrai le voir, comment voulez-vous que je vous croie. Nous avons tant souffert, on nous a dit tant de mensonges. »* Que répondre?
Heureusement, des parrains et marraines ont compris; plusieurs qui s'étaient inscrits pour un enfant repartaient avec deux ou trois. Une dame en prit même huit. A la jeune fille qui s'étonnait de ce nombre, elle répondit: « J'ai eu neuf enfants, je n'en ai plus qu'un à la maison, j'ai donc huit lits libres; et chacun de mes enfants établis m'aidera pour les frais d'entretien. » D'autres parrains s'informaient immédiatement de l'adresse des uns et des autres. De ce fait, beaucoup d'enfants furent tranquillisés. Une autre explication leur fit beaucoup d'effet: « Imaginez que trois cents enfants suisses arrivent à B et qu'on demande à vos familles et à vos amis de les inviter pour trois mois. Combien pourriez-vous en prendre chez vous ? La réponse a presque toujours été : un.


Une autre constatation : beaucoup de ces enfants sont arrivés avec des vêtements très usés, parfois en loques. Un petit garçon de sept ans portait trois maillots de coton superposés. Les trous du premier étaient mal recouverts par les parties bonnes du second et du troisième. Sa culotte effrangée était bariolée de pièces soigneusement cousues ; on se demandait qu'elle était la couleur originale. Toute heureuse, je lui apporte une chemise de flanelle coton, un pantalon de futaine et un pullover. Il en est très fier, mais s'informe avec angoisse de ses vieux vêtements : « Maman m'a dit de faire attention de ne rien perdre. » J'ai fait un joli paquet des vieux vêtements. Pendant trois jours, mon petit ami portait son paquet partout où il allait. Je faisais mentalement le voeu que sa marraine se rende compte à son tour de la valeur des vêtements recommandés par Maman.

***

Le petit Paul, six ans, est si faible et malingre qu'on a pu remplacer les méchants sabots usés qu'il portait par des souliers trop petits pour une fillette de deux ans et demi! Quoique très entouré par son grand frère de deux ans plus âgé, Paul se sent bien minuscule et esseulé au milieu d'une centaine d'enfants bruyants et inoccupés. Une fillette genevoise le voit à la tête d'une colonne et spontanément lui offre le chien de peluche qu'elle promenait tendrement. Le regard de Paul s'illumine. Dès lors son chien ne le quitte plus, il le prend dans son lit, l'assied au réfectoire ; sa minuscule personne perdue dans un grand fauteuil, il lit et explique à son chien le livre « Josette et ses poupées » tout en lui donnant des explications supplémentaires. Quel soulagement d'entendre la bribe de conversation suivante lors du premier contact avec sa marraine :
Bonjour, petit Paul, je suis contente que tu viennes chez moi.
- Vous voyez mon chien.
- Bonjour, petit chien, je suis contente que tu viennes chez moi.
A ce moment, Paul a mis avec confiance sa main dans celle de la jeune femme.

***

Certaines personnes manifestent leur pitié en voyant passer des colonnes d'enfants, étiquettes au cou. Elles s'informent gentiment: « Ce sont des petits français, j'en ai demandé un », ou d'autres paroles analogues. Une grande fille de quatorze ans nous disait amèrement : « Laissez-moi sous cet arbre, j'y dormirai et en mangerai les feuilles, je ne veux plus qu'on me regarde dans la rue en disant: « Ce sont des petits français » et qu'on se vante de nous faire la charité. J'en ai assez, je veux retourner en France.

***

Au fond du jardin, des buissons bougent curieusement. Doucement, nous nous en approchons et entendons des petites voix chanter la chanson du maquis. Sitôt que les petites filles réunies là nous aperçoivent, elles se taisent. Nous continuons sans rien dire notre promenade ; dès que les enfants se croient seules, la chanson reprend.
N'oublions jamais combien ces enfants ont dû apprendre à se cacher, à dissimuler, à se taire. Gardons-nous de leur poser des questions. Quand nous aurons gagné leur confiance, peut-être alors parleront-ils d'eux-mêmes.

***

Colette, sept ans, a beaucoup de peine à se coucher. Le premier soir elle a mis sa chemise par dessus tous ses vêtements. Qu'y a-t-il d'étonnant à cela ? Depuis trois semaines, les membres de la famille ne se déshabillent plus. Serrés dans leur cuisine, les uns contre les autres, ils écoutent anxieusement le bruit des obus qui éclatent dans le voisinage. Il fallut plusieurs jours pour réhabituer l'enfant à dormir normalement.

***

Dans un centre d'accueil où les enfants attendent depuis deux jours déjà leur attribution, une infirmière indignée arrive, accompagnant trois fillettes révoltées. L'infirmière est manifestement fatiguée, et il y a de quoi. S'adressant à moi, prête à partir avec une trentaine d'enfants pour les conduire dans un jardin:
- N'est-ce pas, madame, c'est honteux d'aller à la fenêtre faire des signes aux messieurs ?
Les fillettes pleurent et tapent du pied: « On en a assez, on veut s'en aller, on se sauvera.»
- Donnez-moi ces fillettes, madame, j'ai besoin de quelques grandes pour m'aider à garder les petits.
- Impossible ; elles se sauveront en route, vous ne pouvez pas prendre cette responsabilité. Ce sont des enfants vicieuses.
- Donnez-les moi quand même, je m'en porte garant.
Sur ces entrefaites, l'infirmière, chef du centre, s'approche et acquiesce à la demande. Arrivés chez moi, les enfants s'éparpillent dans le jardin, cherchant les coins ensoleillés, les jeux installés à leur intention. Je prends mes trois grandes filles à part :
- Vous avez entendu, je vous fais confiance. Il serait très facile de partir de chez moi, puis-je réellement compter sur vous?
- Oui, madame.
- Si vous vous sauviez, c'est moi qui serais la coupable, et par votre faute.
- Nous ne partirons pas.
- Bien, c'est entendu. Puis m'adressant à celle qui me paraît la meneuse de la bande : - « Veux-tu me rendre un service? »
- Oh oui.
- Tu vois, c'est une maison particulière ici. Les toilettes sont au premier étage, et je ne voudrais pas que les petits salissent et furettent partout. Puis-je leur dire qu'en cas de nécessité c'est à toi qu'il faut s'adresser ?
- Oh oui, madame.
Toute la matinée, inlassablement, elle s'occupa gentiment des petits. Ce n'est que l'après-midi que, revenue chez moi, je l'ai relevée de sa fonction.
Pendant cette même matinée, une de ses compagnes me demanda une aiguille pour recoudre son manteau Je l'installai dans la veranda. Au bout de quelques minutes, douze fillettes raccommodaient leurs bas ou recousaient leurs manteaux ou leurs vêtements. Toutes les boules à bas et dés de la maison étaient réquisitionnés. Leurs propres effets en état, elles s'informaient auprès des plus petits : « As-tu un trou à ton bas? Donne vite alors. »
A un certain moment, mes trois grandes filles s'étaient réunies sur une terrasse en bordure du chemin et bien protégée des regards par des buissons du côté du jardin. J'allai y jeter un coup d'oeil et aussitôt la toute terrible de dire d'un ton déçu :
- Moi qui croyais que vous aviez confiance en nous.
- Certainement, mais de temps en temps je viens vers chacun de vous voir si tout va bien.
- Oh, nous sommes si contentes d'être un peu seules, depuis notre départ nous sommes toujours si nombreux!
Pendant quatre jours, cette petite troupe d'enfants a séjourné chez moi. Je n'eus jamais à élever la voix, et cela pour une raison très simple : malgré leur diversité d’âge, de milieu, d’origine, j’avais la possibilité de les occuper tous.


* Hélas, il arrive, chez nous aussi, que pour calmer provisoirement ces enfants réfugiés, ou pour gagner du temps, ceux qui s'en occupent usent du mensonge.









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