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La Croix sur l'abîme (1) (Histoire vraie)

La porte de bois roux se referme avec un craquement sec et la grosse clef gémit dans la serrure. Dans la salle basse, l'âtre est resté chaud et les braises luisent encore. Dehors, il fait froid et gris, la nuit n'est pas noire, mais poussiéreuse, et cette poussière est glacée. Les souliers à clous du guide grincent sur la pierre glissante où le brouillard s'attache sournoisement.
C'est la nuit de Noël, une nuit de Noël qui n'en est pas une : pas de neige et pas de clair de lune; la montagne, blanche à son sommet, est restée nue et noire à sa base, menaçante dans son dépouillement sauvage.
Au pied des monts, les fenêtres rouges du petit village trouent la nuit. Là, en bas, des sapins étincellent dans les maisons chaudes et des cours brûlants attendent la venue de Celui qui aurait, dit-on, sauvé le monde. Mais Held, le guide, rit de cette nuit de Noël. Cette naissance dans une étable, ces symboliques sapins, ces cadeaux, ces voeux, tout cela est bon pour ceux qui croient aux contes de fées; pour les faibles d'esprit et les timorés des villes qui n'ont jamais connu, comme lui, le danger et la solitude des arêtes.
Held a pris le sentier qui mène à la cime, d'ailleurs il a posé des pièges là-haut, il faut y aller voir. Tandis qu'il monte dans la nuit, il pense à la crédulité des hommes qui inventent un Dieu-Sauveur, tout comme les petits enfants croient à Chalande !
Held montait toujours et, sous ses pas, les cailloux roulaient. Ne roulaient-ils pas plus vite que de coutume ? - « Ils vont sans doute à l'arbre de Noël, dans la vallée », se moqua-t-il. Un lièvre passa près de lui, puis un second, et d'autres encore. Il s'arrêta Pour les regarder, étonné de leur descente rapide, habitué qu'il était à leurs cabrioles nocturnes. De nouveau il pensa, mais avec un soupçon d'amertume: « Eux aussi vont à l'arbre de Noël… » et il se remit en marche, comme alourdi par un poids soudain. Held avait froid, un froid qui paralysait un peu sa pensée et, pesamment, il poursuivit sa route, sans seulement oser siffler dans cette nuit qu'il ne reconnaissait plus.
Le brouillard se dissipait peu à peu, mais le ciel restait gris, sans étoiles et sans lune. Quand il sortit de la forêt, une lueur rose planait sur le petit village, tout en bas. Held consulta sa montre : il était minuit. Il pressa le pas et se dirigea vers la corniche qui défendait l'arête, quand soudain un léger vent lui apporta de la plaine le chant des cloches. Held frissonna et, coupant par une traverse, voulut commencer plus vite l'attaque du rocher. C'est alors qu'il constata qu'il s'était trompé de sentier. Tant pis : il ne reviendrait pas en arrière, même s'il lui fallait passer la croix !
Le passage de la croix !… Il était devenu légendaire dans le pays. Un éboulement en avait fait la seule voie du sommet. Braconniers ou contrebandiers devaient grimper sur le bois à la force du poignet pour atteindre le haut de la corniche. Held l'avait fait maintes fois, mais cette nuit cette perspective lui déplaisait. Tout de même, il haussa les épaules.
Depuis quelques minutes, la neige s'était mise à tomber. Jamais Held n'avait vu neige pareille, si fine et scintillante : autant de petites étoiles diamantées, tombées du ciel. Au tournant du sentier le guide aperçut, en haut, la croix, plus noire encore dans toute cette blancheur. Soufflant dans ses mains, il voulut s'en approcher, lorsqu'il remarqua qu'un nouvel éboulement avait détruit le passage. Held était têtu : il ne voulut pas reculer. Entre ses dents il murmura : «J'irai: personne ne m'en empêchera ». S'étant agenouillé pour bien situer le point où s'ouvrait l'abîme, il commença à tâtons, se déchirant mains et genoux, la verticale ascension vers la croix.
Les étoiles blanches continuaient de tomber et brûlaient son visage quand ses mains rencontrèrent le bois dur de la croix. Il se dressa alors contre elle, lorsque, dans l'ombre, la cloche d'une heure tinta. Held pensa « Maintenant leur Sauveur est né, grand bien leur fasse ! » Il n'avait pas achevé qu'un éclair blafard traversa le ciel. Les rocs auxquels il s'agrippait tremblèrent et, lentement la croix s'inclina. Le guide comprit qu'il était perdu. La foudre blanche, la terrible meurtrière des nuits de gel, faisait son oeuvre de mort. La croix déracinée allait tomber dans l'abîme, entraînant avec elle l'homme qui l'étreignait.
Et la lutte commença. Arc-bouté de toute sa force, Held essayait de maintenir la croix, son seul appui, contre la paroi abrupte. Ses mains saignaient, une écume brûlante montait à ses lèvres. Penché de tout son poids sur la croix, il lut, involontairement, les mots gravés sur le bois: « Je suis le chemin, la vérité, la vie. »
Held luttait… « Non, tu n'es pas la vie, puisque tu me fais mourir. Je sais maintenant que tu existes, puisque tu luttes avec moi cette nuit, mais tu es la mort et je te hais…
Mais un vent violent avait succédé à la brise, et la croix, en dépit des efforts de l'homme, se pencha, toujours plus vers l'abîme. Brusquement, une pensée monta au cour de l'infortuné: « Tu n'es pas le plus fort, Held, il y en a un autre plus fort que toi; tu l'as défié, il se venge. » Alors, à bout de souffle, Held hurla: « Pardon! » La croix n'entendait rien et s'inclinait toujours davantage. « Pardon », répéta le désespéré, d'une voix fléchissante. Soudain le bois cassa; Held se sentit précipité dans le vide.., mais il ne le fut pas: un pan de sa veste resta accroché à un lambeau de la croix brisée.
Suspendu sur le vide immense par la croix, Held voyait le tableau de sa vie se dérouler. Jamais il ne s'était souvenu ainsi de ses fautes et voici que la plus grande lui paraissait être celle qu'il avait commise en disant à la petite fille du pasteur: « Il n y a ni miracle, ni Dieu. Ton père raconte des sornettes. » Alors seulement, il réalisa la vérité. Il oublia qu'il allait mourir déchiqueté sur les rochers, que plus jamais il ne verrait le petit village accueillant, ni la vieille maman auprès de l'âtre. Il ne pensait plus qu'à une chose : il s'était trompé, Dieu existait et c'était avec Dieu qu'il avait lutté ce soir. Dieu l'avait vaincu. Et Held conclut que sa mort, à lui, était juste. Il ne se débattait plus; en lui, il n'y avait plus qu'un soulagement étrange, un calme inconnu.
Le vent s'était calmé, les étoiles de neige ne tombaient plus quand Held se retourna vers la vie. Lentement, il s'attacha au bois, dégagea son vêtement, et, sans savoir comment, presque sans effort, se retrouva sur la corniche. Alors un tremblement le saisit, mais ce n'était plus le froid; il s'agenouilla. Au pied de la croix brisée pour le sauver, il pleura, supplia Dieu de lui pardonner et le remercia pour cette inoubliable nuit de Noël.

***

A l'aurore, une équipe de secours atteignit la corniche. La vieille maman de Held avait donné l'alarme au village lorsqu'elle vit la foudre redoutée, inattendue en cette nuit de Noël, tomber sur le sommet où elle savait qu'était son fils.
Les hommes s'attendaient à ne trouver qu'un cadavre. Mais quand le soleil se leva derrière le pic qui l'avait masqué jusqu'ici, ils découvrirent Held agenouillé, les mains et le visage ensanglantés, qui redressait la grande croix foudroyée et qui tourna vers eux un regard rayonnant en les saluant de ces mots: « Camarades, cette nuit un Sauveur nous est né ! »









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