Accueil
   

 

 

 

RECHERCHES
Rechercher un mot dans les articles:


Recherche avancée
• par mots
• par thèmes

ARCHIVES DE TOUS LES ARTICLES



AUTRES MENUS
ACCUEIL
ADRESSES
  • Adresses utiles
  • Bibliographie
  • Liens Internet
LE JOURNAL






Les « Entretiens sur l'éducation » est un mensuel publié sans interruption depuis plus de 100 ans.
Le site www.entretiens.ch vous offre la possibilité de consulter en ligne ces extraordinaires archives parcourant/ponctuant au jour le jour l'histoire de l'éducation familiale d'un bout à l'autre du XXème siècle.
La survie de la brochure mensuelle imprimée parallèlement à la distribution virtuelle à travers le site est le garant de la poursuite de cette aventure. La rédaction est assurée de façon bénévole par un groupe de parents passionnés par la réflexion et l'écriture autour du vécu familial. Les frais d'impression du journal et la gestion du site (100 000 pages demandées par mois??)....30.- par an (20€).
En dehors du grand intérêt pour vous de cette matière exceptionnelle, que vous soyez jeune parent, chercheur dans une université ou simplement intéressé par l'évolution des comportements humains, votre soutien par l'intermédiaire d'un abonnement nous est indispensable.
Pour les pays lointains et si vous ne désirez pas profiter de la version papier, un abonnement sous forme de pdf est accessible au même prix annuel de CHF 30. Il vous donne un accès complet aux archives
RETOUR

Hercule (Histoire vraie)

J'avais cette année-là la bande la plus charmante que j'aie jamais eue. Des garçons et des fillettes de neuf ans qui ne me causaient que de la joie. Arrive dans le cours de l'année un nouveau. Et quel nouveau ! Jamais on ne vit visage plus sombre, plus farouche. Par la fente de ses yeux presque fermés, comme s'il avait pleuré toute sa vie, il me jeta un regard méfiant, accompagné d'un rictus du nez, un nez qui n'avait dû que renifler, lui aussi, jusqu'à ce jour. Un gamin traqué, battu par la vie, révolté, une victime devant qui la prison semblait s'ouvrir tout naturellement.

Ma décision fut prise instantanément : je serais pour ce garçon tout le contraire de ce que le monde avait été pour lui.
A peine assis à la table que je lui destinais, que déjà il s'agite à gauche, à droite, tire son camarade de devant, pousse du coude, parle, grimace. Comme je n'étais pas certaine de son nom de famille, je l'interpelle. par son prénom, un prénom prétentieux que j'ai toujours employé depuis, et je vis son regard interrogateur se poser sur moi, curieux, mais satisfait… évidemment, on ne l'avait pas souvent appelé par son prénom à l'école, et il n'en revenait pas.

Hercule fut tout de suite insupportable avec ses camarades. A chaque rentrée de récréation, il y avait des plaintes, et je faisais mon possible pour apaiser les plaignants. Je continuais à me montrer gentille avec Hercule, mais, à mon dépit, sans succès. Hercule gardait tous ses défauts, son masque de bagnard ne s'adoucissait pas ; il y avait seulement en plus, sur son visage, une sorte de morgue qui lui venait du sentiment de sa valeur, puisque je l'estimais. En peu de jours, dans ma classe, tout se gâta. Mes élèves, qui m'avaient jusqu'alors donné des signes constants de leur affection, cessèrent de m'aimer. Tout allait de travers… Par bonheur, ce furent les mères qui vinrent à mon secours. Il en vint trois, qui, l'une après l'autre, m'ouvrirent les yeux. Leurs garçons n'aimaient plus l'école, n'avaient plus d'entrain, depuis que ce nouveau était là: « Ils sont jaloux, Mademoiselle, parce que vous témoignez votre amitié à ce méchant garnement.»

Le lendemain, je saisis un prétexte pour éloigner Hercule, et j'eus un long entretien avec ses camarades. Je leur expliquai les raisons de mon attitude avec le nouveau. Je leur dis tout ce qu'on peut lire sur le visage d'enfants aimés, idolâtrés, et sur celui d'Hercule, où, sans rien savoir de sa vie, je pouvais affirmer qu'il n'avait connu que le mépris de ses maîtres, la haine de ses camarades, la colère des voisins, le dépit des parents ; je leur dis que je n'avais pas hésité un seul instant à croire que personne, pas même sa maman, ne l'aimait, et qu'au premier regard jeté sur lui je m'étais rendu compte que je ne pourrais pas vivre avec un visage semblable dans ma classe. « Alors, j'ai voulu l'aimer. Je me suis forcée à l'aimer, parce qu'il n'est aimable pour personne. Je vois tout le mal qu'il fait, mais pour qu'il change, il faut qu'on l'aime !… et j'ai échoué.., j'ai échoué par votre faute. Vous m'avez empêchée de réussir, parce qu'aucun de vous n'a consenti à ce que je l'aime. Et c'est vous qui avez été les plus forts. Mais si vous ne m'aidez pas, cet enfant est perdu, un homme perdu. Il n'a devant lui que la rancoeur, et… la prison. »

Mes pauvres gosses étaient bouleversés. Et quand je leur dis : « Voulez-vous que nous formions une coalition? Que nous soyons chacun un artisan dans cette entreprise, qui consiste à forger un enfant nouveau ?» Ils se déclarèrent d'accord.

Les yeux d'Hercule, dans les heures qui suivirent, sont impossible à décrire. Jamais, je n'ai vu, de ma vie, pareille puissance interrogative du regard. Michel, mon meilleur élève, le prit par le cou, quand le timbre sonna pour la récréation. Trois autres l'entouraient à la rentrée. Il y avait entre nous des sourires entendus. D'un jour à l'autre, le visage crispé d'Hercule se détendait. Plus tard, je me rendis compte qu'Hercule n'avait jamais été en mesure de comprendre un mot de ce que je lui expliquais. Il était immobile, docile, attentif, semblait-il, mais dès qu'une maîtresse parlait, une porte hermétique en lui se fermait, rien ne pénétrait. Pendant des semaines, ce furent ses camarades qui se chargèrent de toute son instruction. Il les écouta dès le premier jour.

Quand il nous quitta six mois plus tard, c'était un bel enfant au visage paisible, éclairé par de grands yeux bleus.









www.entretiens.ch fait partie du réseau « NETOPERA - culture - société - éducation sur Internet » et pour la photographie PhotOpera - Uneparjour || DEI - Défense des Enfants - International
ROUSSEAU 13: pour allumer les lumières - 300 de Rousseau  ROUSSEAU 13: les IMPOSTURES - 300 de Rousseau - portraits déviés PHOTOGRAPHIE:Nicolas Faure - photographe d'une Suisse moderne - Le visage est une fiction - photographie de l'image brute - Laurent Sandoz - comédien et acteur professionnel - Genève