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L'entrée à l'école
Jeune maman, ton enfant va entrer à l'école. C'est un grand événement pour lui comme pour toi!
J'espère que personne n'a commis la maladresse de lui dire, un jour de gronderie et sur un ton de menace: « Tu verras quand tu seras à l'école, ça ne se passera pas comme ça! » Si l'école n'était pas à l'avance un sujet d'angoisse, ton enfant a considéré son premier jour de classe comme un jour heureux. L'école! Les «grands» en parlent toujours; c'est une vie nouvelle, un beau sac, les récréations animées, tout un horizon découvert avec enthousiasme !
Pour toi, maman, tu vas connaître la première séparation sérieuse. Désormais cet enfant qui était entièrement à toi, tu devras le partager avec d'autres, accepter que des influences nouvelles s'exercent sur lui, que sa vie comporte une part de mystère, que ta fille ait toute une série de petits secrets ingénus, d'amies inconnues de toi, que ton fils se prenne d'une tendre flamme pour sa maîtresse d'école.
Ah ! cette tendresse passionnée du petit enfant pour son institutrice, quelle influence n'a-t-elle pas joué dans la vie de beaucoup d'hommes ou de femmes illustres? Ne t'en navre pas, jeune mère, et surtout garde-toi de jeter une douche froide sur la joie de ton mioche! Dès son premier jour d'école, mon fils m'a dit posément: « Tu sais, la maîtresse est plus gentille que toi! » J'ai souri. Cette admiration confiante et totale d'un cour de cinq ans, lui était nécessaire à celle qui allait devenir, tant d'heures durant, le guide, l'inspiratrice de mon enfant, et par conséquent ma collaboratrice. Si nous apprenons dès cet âge tendre, à respecter le premier amour de notre gosse, cela ne nous prépare-t-il pas, des années à l'avance, à admettre le choix qu'il fera d'une épouse, d'un époux? Certes, c'est parfois difficile à accepter, lorsque l'on s'est penchée quatre, cinq, six ans sur l'éclosion d'un être tendrement chéri, d'avoir à le donner plusieurs heures chaque jour, de ne plus le sentir exclusivement à soi. Et pourtant l'apprentissage de la mère consiste à élever ses enfants non pour elle et sa propre joie mais pour en faire des êtres utiles et indépendants.
Quel enrôlement qu'une entrée à l'école, que de papiers de garantie, -vaccinations, bonne santé, etc. -, pour ces jeunes citoyens en herbe jusqu'alors bébés charmants et soudain promus au rang officiel d'écoliers! Mais si l'Etat astreint nos enfants à neuf années de scolarité, quels collaborateurs vont devenir pour nous, si nous le voulons bien, les maîtres et maîtresses. Ils ont appris, au cours de solides études, à cultiver chez les enfants tout un domaine que nous, les mères, ne saurions ensemencer seules dans les petites classes, développement des cinq sens, puis, au cours des années, enrichissement de la mémoire, de l'intelligence, du raisonnement. Comment ne pas faire confiance à ceux et celles qui suppléeront à notre incapacité et armeront nos enfants pour la vie d'études bien mieux que nous ne saurions le faire?
Hélas! Il y a encore des parents qui ne comprennent pas la nécessité absolue d'une collaboration étroite entre eux et l'école, qui critiquent, discutent, blâment même le maître ou la maîtresse devant l'enfant. Grave erreur. En effet, comme l'écrit M. Chevallaz « rien n'est plus déconcertant pour le jeune écolier que les railleries du père ou ses mouvements d'humeur contre ses maîtres qu'il admire au même titre que ses parents; cela lui paraît comme une mésentente et désorganise son idée de la morale : il croyait encore tous les responsables d'accord ». Il y a aussi des parents qui n'hésitent pas à donner une excuse mensongère quand l'écolier a manqué sa classe ou est arrivé en retard, ceci afin de le protéger a tout prix. Comment veut-on, dans ces conditions, que règne autour des enfants une atmosphère de droiture, que s'établisse une collaboration utile et fructueuse entre l'école et la maison?
Quand ton enfant entre à l'école, attends-toi à des surprises. Tu le croyais, - et c'est naturel, un coeur de mère -, spécialement doué et intelligent, vif d'esprit, adroit de ses mains
Et voilà que, mis en contact avec vingt ou vingt-cinq autres bambins, il ne sort pas le premier aux examens, ne se montre même pas supérieur à la moyenne. Tu t'étonnes, tu t'indignes peut-être: « Personne ne sait reconnaître la valeur de mon enfant! » C'est là une des meilleures leçons que l'école puisse donner aux parents : la comparaison avec d'autres écoliers venus d'éducation, de cultures de milieux différents mais tous du même âge, tous soumis à la même instruction, nous permet d'apprendre à voir mieux le fort et le faible de ce petit être que jusqu'ici nous avions presque seul sous les yeux.
Ne soyons pas des parents trop orgueilleux, trop ambitieux pour notre enfant, n'exigeons pas de lui qu'il flatte notre amour-propre. « Fais tout ce que tu peux, donne tout ton effort et nous en serons satisfaits », voilà ce que nous placerons devant le jeune écolier au début de sa scolarité. Que de parents ont orienté les enfants vers la tricherie, le mensonge, la jalousie, simplement en demandant d'eux plus qu'ils ne pouvaient fournir, en punissant lorsque le rang ou les chiffres ne leur semblaient pas assez élevés. Encourager l'écolier, s'intéresser à son travail, se réjouir avec lui d'un succès, tout cela est indispensable mais, de grâce, si la nature ne lui a pas donné des dons exceptionnels, ne cherchons pas à tout prix à ce qu'il tienne toujours le sommet de sa classe!
L'école d'aujourd'hui ne se contente pas d'instruire nos enfants, elle s'efforce aussi de les éduquer.
Première éducation, celle de l'exactitude. Ah! les « arrivées tardives » ! sujet brûlant pour beaucoup de petits écoliers couchés trop tard et qu'il faut secouer le matin, les pauvrets, pour les réveiller et les envoyer en classe. D'autres se lèvent sans peine après leurs dix et onze heures de sommeil mais, fantaisistes ou lambins se laissent distraire par tout et par rien pendant qu'ils s'habillent et déjeunent. Quelle lutte alors pour obtenir l'exactitude ! J'ai entendu une éducatrice conseiller à une mère qui se désolait de ce travers chez sa fillette, de s'entendre à ce propos avec l'institutrice : « Si vous bousculez chaque matin votre enfant, si vous l'aidez à se vêtir pour gagner du temps, bref remédiez vous-même à son inexactitude, elle ne se corrigera jamais. Prévenez donc sa maîtresse que, durant quelques jours, vous laisserez la petite se débrouiller seule; nul doute qu'au bout de peu de temps, blâmée par toute une classe qu'elle dérange ou au contraire, si elle arrive à l'heure, encouragée par sa maîtresse qui sera dans le secret votre collaboratrice, l'enfant ne devienne ponctuelle.»
La seconde éducation poursuivie par l'école est celle de l'ordre et de la discipline. Quel soulagement d'être plusieurs à tirer à la même corde pour obtenir ce que les mamans débordées renoncent parfois à exiger de leurs petits diables : ordre et discipline !
Que de mères, en effet, préfèrent mettre elles-mêmes dans un état décent la chambre, les tiroirs, le coffre à jouets, plutôt de répéter cent fois les mêmes objurgations : « Mets ton manteau dans l'armoire ! Ne jette pas ton sac d'école dans un coin, suspends-le à un clou, etc. » Elles ont grand tort, certes, mais souhaitent tout bas que la discipline scolaire ait un heureux effet sur leurs enfants terribles.
Enfin, les instituteurs cherchent à obtenir, si j'en juge par le bulletin scolaire de mes enfants, qu'ils soient « obéissants, attentifs, appliqués et zélés .»
Le beau programme! Toutefois s'il n'a d'abord été esquissé ou réalisé au foyer, l'obtiendra-t-on de l'écolier? Un enfant doit avoir appris à obéir à sept ans, s'accordent à dire les éducateurs; si donc le pli n'a pas été pris dans la petite enfance, l'institutrice pourra-t-elle remédier à l'incompétence des parents? Sûrement non. Et là, ne vas-tu pas rentrer en toi-même? Quel caractère confies-tu à l'instituteur qui se consacrera à ton petit enfant? As-tu déjà créé la base solide sur laquelle il pourra construire? As-tu purifié le métal qu'il s'essayera à buriner, ou bien le laisseras-tu se débattre avec un être sans aucune notion de discipline, de savoir-vivre, de vérité?
Ton enfant va entrer à l'école. Peut-être soupires-tu d'aise : « J'aurai davantage de temps pour m'occuper des cadets, la maison sera plus tranquille ! » Oui, l'école enrôle désormais ton enfant plusieurs heures par jour mais, - nous l'avons constaté ensemble -, cette nouvelle étape ne diminue ni tes responsabilités, ni l'action familiale, au contraire. « La maison », « papa», « maman », ces mots vont prendre pour l'écolier un sens tout nouveau et bien plus grand maintenant qu'il a sa vie d'école et sa vie au foyer. A toi la belle tâche d'harmoniser, dans la joie et la paix, ces deux existences de ton enfant, à toi de soutenir de toute ton énergie, loyalement, l'action que l'école exerce sur lui, à toi, en même temps, de rester le refuge, la confidente, celle à qui l'on revient joyeusement après chaque séparation journalière, celle dont le cour enfantin a besoin avant tout, celle que l'on appelle dès le seuil de la maison: - Maman! Où est maman?
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