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Quand une brebis quitte le Bercail (1)

Quitter l'établissement où pendant plusieurs mois on a été gardé, encouragé, encadré, réalise-t-on assez l'épreuve redoutable que cela représente pour l'enfant difficile? Il lui a fallu des semaines pour s'adapter à cette discipline, à cette suppression partielle de sa liberté, et maintenant, il lui faut faire brusquement ce travail en sens contraire. Aussi, n'aiderons-nous jamais assez les enfants qui vont nous quitter.

Parlons tout d'abord de ceux qui sont sur le point de rentrer dans leur famille. Il faut bien leur faire comprendre que les difficultés n'ont pas disparu, qu'ils vont retrouver le petit frère envié, la maman fatiguée et des tentations multiples. Souvent, la séparation et surtout les visites et les attentions dont ils ont été les objets amènent les enfants à penser que toute la famille va continuer à les fêter à la maison aussi, ce qui, évidemment, n'est pas le cas. De même pour l'école; pris individuellement, ou dans un très petit groupe de travail, l'enfant progresse presque toujours et reprend confiance en lui-même, ce qui est juste; mais il faut qu'il réalise en rentrant dans une classe ordinaire que les choses seront différentes. Car les premiers jours, avec la curiosité et la méfiance des élèves, et parfois du maître, seront pénibles. Nous avons déjà vu une ou deux fois des «anciens» en larmes, qui revenaient à nous parce que la reprise avait été trop rude pour leurs forces encore fragiles. On peut les aider en leur faisant pendant les derniers temps de leur internat, reprendre petit à petit contact avec l'extérieur.

Les familles aussi sont naturellement à préparer. Trop souvent, elles attendent le retour d'un ange, au lieu de celui d'un petit être qui a encore bien des difficultés. Au moment du départ, nous essayons de donner à l'enfant un stimulant (mot d'ordre, petit concours) qu'il emporte avec lui et auquel la famille peut, si elle le veut bien, s'associer. Il faut suivre cette reprise de la vie familiale par des visites pas trop espacées. Si on arrive à liquider les difficultés à mesure, au lieu de les laisser s'accumuler à nouveau, on peut parfois sauver la situation. Il est difficile d'arriver à obtenir la confiance aussi bien des parents que de l'enfant et de rester vraiment objectif vis-à-vis des deux parties. La collaboration avec le maître ou la maîtresse de l'enfant est souvent nécessaire et utile.

Ces cas d'enfants rentrant chez eux sont peut-être les plus délicats à suivre. Un grand garçon de seize ans, qui vient de vivre quatre années de vie familiale en apparence harmonieuse, nous disait l'autre jour : « Au fond, c'était terrible, et je suis bien content de ne plus y être ; mais tout ça, je ne pouvais le dire à personne, parce que c'était du mal sur ma mère. »

Autre est la préparation à donner aux enfants qui, ne pouvant rentrer chez eux, seront placés dans une famille. Il faut connaître personnellement cette famille, afin de pouvoir en parler à l'enfant d'une façon vivante. Il faut pouvoir lui décrire sa chambre, les gens, le jardin, les bêtes ; en faire à l'avance, si possible, déjà un peu « sa famille ». Même travail vis-à-vis des futurs hôtes de l'enfant. Si l'on veut qu'ils s'intéressent vraiment à lui, il faut les renseigner à fond il est mieux de grossir un peu les difficultés de l'enfant que de chercher à les atténuer ; les gens déçus pardonnent difficilement. Parlons plutôt de temps d'essai de part et d'autre et ne prévoyons rien de trop définitif.
Ces familles sont à choisir très soigneusement; il existe des foyers de paysans dans lesquels c'est une tradition d'honneur d'avoir un enfant placé; c'est à ces portes qu'il faut frapper. Dans l'un d'eux, on nous disait: « Chez nous, ceux qu'on a eu sont tellement de la famille qu'ils annoncent avec nous quand on a des morts. » La compréhension et la patience de ces gens peuvent aller très loin ; une paysanne nous faisait remarquer un jour : «Voyez-vous, l'erreur que les gens font toujours, c'est de vouloir qu'un enfant placé soit plus travailleur et raisonnable qu'un autre; c'est le contraire qu'il faut attendre ; et puis, on devrait toujours se dire quand ils font une bêtise: si c'était mon gamin, qu'est-ce que je penserais de la chose? » Dans un village où nous avons, en quatre ans, placé sept enfants dans différentes familles, nous n'avons enregistré qu'un seul échec. L'institutrice, devenue notre alliée, nous aide à choisir les familles et soutient les enfants à l'école.

Le départ de l'enfant qui quitte l'établissement pour se lancer dans l'inconnu est à soigner particulièrement qu'il parte avec « ses » affaires bien à lui, Si possible un ou deux petits trésors dans son carton ou sa valise; qu'on le fasse aussi mignon que possible, et que le voyage devienne une petite fête. Tous ces moyens sont simplistes, direz-vous; oui, si vous voulez, mais alors pourquoi le néglige-t-on si souvent ? L'arrivée dans la famille, le premier contact, sont aussi très importants ; il y a quelques années, nous accompagnions un garçon de dix ans, illégitime, peu doué, au physique plutôt ingrat, dans une brave famille du Jorat. D'un type modeste, notre Frédy n'attendait guère de compliments ; le paysan le regarda longuement, puis son sourire s'accentua devant les bons yeux du gosse et dit avec conviction : «Et bien, c'est quand même un beau gamin.» Alors, du coup, l'enfant s'est épanoui, redressé ; l'entente cordiale était signée et elle dure encore. Le « quand même beau gamin » est devenu un jeune ouvrier de campagne très apprécié dans son village.

Une fois l'enfant placé, il est nécessaire de le suivre d'assez près pendant les premiers mois. C'est pourquoi il est aussi préférable d'en placer plusieurs dans le même endroit; on pourra ainsi les visiter plus souvent. Si les six premiers mois ont passé sans trop de casse, la partie est généralement gagnée. Les familles campagnardes n'aiment pas le changement et, comme nous l'entendions dire encore l'autre jour: « Changer d'enfant, ce serait changer de défauts; on aime mieux les défauts dont on a l'habitude. »

Sur les enfants qui quittent un établissement pour entrer dans un autre établissement, il y a peu à dire. Le changement sera forcément moins grand, et il sera bon de s'effacer au début, afin de laisser l'enfant pousser ses racines ailleurs. Mais pour celui qui n'a vraiment personne, sauf un tuteur qui s'occupe de lui un quart d'heure par an, lorsqu'il rédige son rapport à la Justice de Paix on pourra essayer d'être un peu la famille, d'envoyer une lettre ou un paquet de temps à autre, et même de l'inviter pour de courtes vacances, d'entente naturellement avec la direction de l'autre maison. Un petit changement peut donner tant de joie dans une vie forcément régulière et uniforme.

Ce travail auprès de la plupart des enfants qui quittent notre pavillon nous semble très important et nous aimerions pouvoir y consacrer toujours plus de temps. C'est une période de convalescence qui mérite de retenir toute notre attention. Il ne s'agit donc ni d'un contrôle médical, ni d'un un contrôle psychologique, si importants soient-ils, mais bien d'un intérêt vigilant et d'une amitié solide qui précèdent et suivent l'enfant difficile où qu'il aille. Tous les établissements qui s'occupent de ces enfants devraient avoir une personne spécialisée dans ce travail. Peut-être éviterait-on ainsi beaucoup de rechutes et consoliderait-on bien des résultats chancelants.


(1) Le Bercail : Pavillon d'observation médico-pédagogique de l'Hospice de l'enfance, Lausanne.









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