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Tout dépend de l'esprit
Vous donnez à un enfant un conseil. C'est votre état d'âme qui importe plus encore que le conseil lui-même. Vous pouvez être inspiré par la peur, la peur qu'il ne «tourne mal ». Alors vous lui suggérez cette peur, même sans la formuler; et votre conseil, si judicieux qu'il soit, en faisant penser au mal, donne emprise au mal. Si, au contraire, c'est la prudence sage et confiante qui vous inspire, ce même conseil sera utile.
Vous devez punir un enfant. Vous savez bien que vous pouvez le faire dans la colère. Vous vous déchargez alors de l'irritation personnelle que sa faute vous a causée. Ou encore, vous vous vengez inconsciemment des punitions que vous avez subies vous-même dans votre enfance. Alors cette punition ne le corrigera pas et ne suscitera chez lui que la révolte. Mais ce peut être aussi le juste sentiment de votre responsabilité pédagogique qui vous oblige à punir, en dehors de tout emportement. C'est alors votre amour pour l'enfant qui vous inspire et la punition sera féconde On lira avec fruit à cet égard le chapitre si intéressant qu'a écrit le Dr Meng (1) sur ce que les enfants pensent de la punition.
De même, l'indulgence peut être une manière de démission morale des parents. Elle peut être au contraire un geste de confiance à l'égard de l'enfant, qui le conduit à l'empire de lui-même.
Il y a des pères dont la sévérité n'est que tyrannie, par laquelle ils se vengent de la tyrannie qu'ils subissent eux-mêmes de la part de leur femme ou de leur chef de bureau. Il en est, au contraire, chez lesquels la sévérité est le fruit d'une victoire sur eux-mêmes et sur leur tolérance naturelle. Dans le premier cas la sévérité détruit, dans le second elle galvanise, chez l'enfant, son énergie intérieure.
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Les gens viennent toujours à nous avec des questions de principe : faut-il se marier jeune ou non? Etes-vous pour ou contre l'alimentation carnée, la danse ou la psychanalyse? La réponse, c'est le plus souvent que tout dépend de l'esprit dans lequel on agit.
Voyez les controverses en matière pédagogique.
Les uns dénoncent les méfaits de la sévérité et de l'autorité, car ce n'est qu'en se sentant libre, en faisant même de douloureuses expériences, que l'enfant acquiert la conscience de sa responsabilité morale et prend de l'initiative dans la vie.
Les autres montrent les dangers de l'indulgence et de la liberté, car sans de solides habitudes de discipline, abandonné à toutes les mauvaises influences, l'enfant perd toute maîtrise de lui-même.
Les uns et les autres ont raison.
Mêmes discussions en matière de programmes, d'équilibre entre l'étude et la culture physique, de notes scolaires, qui peuvent fausser la mentalité de l'enfant et sans lesquelles il perd le sens de l'effort et de l'exigence envers soi-même.
Chez chacun de ceux qui viennent me raconter leur vie, l'analyse de ses souvenirs d'enfance éclaire ses difficultés présentes, et en révèle l'origine dans des « fautes d'éducation ».
L'un est indécis parce que ses parents ont toujours tout décidé pour lui; ils ont choisi ses amis, ses vêtements, sa profession et organisé ses jeux. L'autre est indécis parce que ses parents l'ont abandonné à lui-même et à son incertitude inexpérimentée devant des décisions qui engageaient son avenir. En tout, il voit le pour et le contre.
L'un est indiscipliné parce que ses parents ont fait peser sur lui une telle contrainte de règles, parce qu'ils lui ont défendu tant de choses qu'il a, devenu adulte, pris sa revanche, par une réaction instinctive. Il veut goûter à tout, même à ce que condamne sa conscience, il nargue toutes les convenances sociales et a une telle soif de fantaisie qu'il est incapable de tout effort méthodique.
L'autre est indiscipliné parce que ses parents ont donné libre cours à tous ses caprices et l'ont laissé prendre des habitudes de désordre, d'inconstance et de dispersion dont il n'arrive plus à se corriger. Ses parents ne peuvent plus réagir à l'âge de l'adolescence. L'autorité qu'ils ont abandonnée quand il était jeune, ils ne peuvent plus l'exercer maintenant, il faut l'envoyer dans un institut où des tiers lui imposeront une discipline. Il faudrait être sévère avec le petit enfant pour lui laisser plus de liberté à mesure que se forme sa raison; et la plupart des parents font l'inverse: ils permettent tout à leur enfant en bas âge et trouvent même charmantes ses sottises. Quand il devient plus grand et qu'ils voient où cela mène, ils veulent sévir, mais c'est trop tard et l'enfant se révolte.
L'un est craintif parce que sa mère, craintive pour lui, l'a élevé dans la peur continuelle de tous les dangers qui pouvaient le menacer. L'autre est craintif parce qu'il lui a manqué le sentiment de protection dont l'enfant a besoin en face de la vie hostile et mystérieuse.
L'un est rancunier parce qu'il a été élevé dans une atmosphère de revendication, de critique et de révolte continuelles contre toutes les injustices de la vie. L'autre est rancunier parce que ses parents, quand une injustice le frappait, ne lui donnaient pas le sentiment de prendre son parti ; il ne se sentait pas compris ou même il lui semblait qu'ils accordaient plus de crédit à la version d'autrui sur l'incident qu'à la sienne.
L'un est sensible parce que ses parents se sont attendris sur tous ses maux, parce qu'ils ont cultivé en lui la pitié de lui-même; l'autre, parce qu'ils ne lui ont pas témoigné assez de sympathie. Voici par exemple une jeune fille qui, à la rupture de ses fiançailles, s'est morfondue dans son chagrin, se croyant incomprise et seule à le porter, pendant que ses parents pleuraient secrètement et affichaient devant elle une indifférence apparente de peur de l'impressionner.
L'un se plaint d'avoir été laissé dans l'ignorance de la question sexuelle, d'avoir dû se débrouiller tout seul pour en percer le mystère, d'avoir été faussé dans sa mentalité par mille malentendus et mille expériences douloureuses et dangereuses qu'on aurait pu lui épargner. L'autre a eu des parents si soucieux de les lui éviter qu'ils en ont fait un épouvantail. La solennité avec laquelle ils lui ont exposé les dangers physiques et moraux de l'onanisme, des perversions sexuelles ou des maladies vénériennes, les livres qu'ils lui ont fait lire et qui exposaient ces dangers avec force détails, lui ont communiqué mille peurs obsessives, celle de la femme, sournoise et tentatrice, celle de l'homosexualité, celle de ne pouvoir se marier après être tombé si souvent dans l'impureté, celle de la damnation éternelle. Voici un homme auquel sa mère a fait prêter tout jeune le serment de demeurer chaste jusqu'au mariage et de lui avouer sur-le-champ toute chute dans l'onanisme. Cela a pesé à tel point sur lui qu'il a été obsédé par la question sexuelle; l'obsession a entraîné des chutes innombrables ; il n'a pu s'en ouvrir ni à sa mère, ni à personne d'autre; la honte de violer son serment a sapé ses résistances morales et il est maintenant impuissant dans le mariage.
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Je pourrais poursuivre à l'infini un tel exposé. L'examen quotidien et objectif de tous ces récits de vies me convainc toujours plus qu'il n'est aucun principe, aucun système d'éducation, qui soit bon par lui-même; ils comportent tous leurs dangers et leurs avantages; tout dépend de l'esprit dans lequel ils sont appliqués. Aussi, lorsqu'on étudie les bases de l'hygiène mentale de la première enfance, le D Meng écrit : « Par nos conseils et notre influence, nous devons moins agir sur l'enfant que sur son milieu qui l'éduque et le nourrit
».
(1) Dr Heinrich Meng. Protection de la santé mentale. Texte français W. Bischler, Lausanne, Payot, 1944.
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