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Les « Entretiens sur l'éducation » est un mensuel publié sans interruption depuis plus de 100 ans.
Le site www.entretiens.ch vous offre la possibilité de consulter en ligne ces extraordinaires archives parcourant/ponctuant au jour le jour l'histoire de l'éducation familiale d'un bout à l'autre du XXème siècle.
La survie de la brochure mensuelle imprimée parallèlement à la distribution virtuelle à travers le site est le garant de la poursuite de cette aventure. La rédaction est assurée de façon bénévole par un groupe de parents passionnés par la réflexion et l'écriture autour du vécu familial. Les frais d'impression du journal et la gestion du site (100 000 pages demandées par mois??)....30.- par an (20€).
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La femme qui travaille en usine

Nous jugeons bien souvent avec beaucoup de sévérité. Pourquoi? Simplement parce que nous ignorons!

Mais oui ! Nous voyons une femme qui nous frappe désagréablement par certains côtés de son caractère - peut-être est-elle maussade, renfrognée, peu aimable ou cassante dans ses réparties; nous côtoyons des enfants un peu négligés, trop «culottés » à notre gré, et qui, toujours en quête d'un bon tour, gênent les passants et les locataires par leur présence bruyante. Et voilà : déjà notre jugement a pris forme, soit en pensée, soit en parole. Une critique peu aimable et constructive vient à nouveau d'être exprimée et, sans le savoir, nous faisons du mal à la personne ainsi jugée, en l'entourant de courants négatifs. Pourtant, pourquoi ne pas nous être arrêtés un moment pour tâcher de découvrir la raison de son attitude? Probablement aurions-nous alors été très étonnés de découvrir un être digne d'intérêt et d'affection, mais un être débordé par le poids de la vie et auquel notre collaboration spirituelle et matérielle aurait pu être de la plus grande utilité.

Considérant que la vie de la femme qui, toute son existence durant, fait en quelque sorte partie intégrante de l'usine. N'a-t-elle pas déjà dû lui donner, dès les premiers jours de son enfance, sa mère ? Etre enrôlée à son tour vers les quinze ans? Puis être laissée de côté, comme un objet usé, autour de la cinquantaine ?

Les parents se sont mariés jeunes, sans réserve, sinon les dettes accumulées par la mise en ménage ! Du matin au soir, ils travaillent pour amortir leur capital passif. Et soudain : crac ! L'épouse est enceinte ! La question se pose, angoissante. Que faire? Accepter la charge matérielle et morale de cet enfant, ou le faire « passer » pendant qu'il en est encore temps?

Le terrain est brûlant, glissant, très tentant. La grossesse ne sera-t-elle pas la cause d'une diminution des facultés de travail et de rendement de la mère, d'où, bien souvent, le mécontentement exprimé on silencieux du mari. L'enfant ne gênera-t-il pas leur repos, leurs possibilités de plaisir et de distraction après les heures monotones de l'usine ; ne prendra-t-il pas de la place dans le logement déjà si restreint?

La joie que des parents ouvriers peuvent avoir à cette attente est souvent diminuée par la crainte des difficultés matérielles.

Le bébé est là depuis quelques semaines à peine que déjà la mère le porte, tôt le matin, chez la vieille voisine infirme ou dans une crèche, plus tard dans un home d'enfants. Est-il malade, que déjà, au lieu d'être gâté et entouré par une maman aimante et attentionnée, il est placé à l'hôpital, où il se trouvera parmi une rangée de lits blancs, parmi lesquels il y a des visites de toute la famille, rapides et à heures fixes.

Voici maintenant notre future jeune travailleuse à l'école. En rentrant chez elle, à 4 h., tout est vide, personne n'est là pour la recevoir, lui demander des nouvelles de son travail scolaire, la diriger et l'aider dans ses devoirs. N'est-il pas normal alors qu'elle s'empresse de quitter cet endroit peu accueillant pour retrouver au dehors des camarades qui, par leurs jeux et leurs niches, lui aideront à oublier sa solitude ?

Enfin! l'heure tant attendue sonne ! La fillette a fait le saut hors de son enfance. Elle est en état de gagner. Elle est devenue "jeune fille ». N'a-t-elle as quinze ans ?

La vie ouvre toutes grandes ses portes pour la recevoir, pour lui offrir sa lumière et ses ombres ; mais quelle préparation a-t-elle subie pour répondre d'une manière positive et créatrice à cette invitation? Elle n'a rencontré que peu d'affection auprès de sa mère, continuellement surchargée de travail et de soucis, impatiente bien souvent, parce qu'éreintée au soir d'une longue journée d'usine. Elle a dû faire ses réflexions et son éducation psychologique seule, et fréquemment dans un milieu où les parents ne s'accordaient pas. Est-il besoin, en effet, de parler de tous ces foyers brisés, irréguliers, tragiques, de ces faux ménages… pour comprendre et évoquer alors la souffrance que doivent connaître les enfants, leurs désillusions, leurs initiations précoces, leurs réactions en face de l'animalité de ces existences ?

Quinze ans ! Notre adolescente travaille. Elle se croit accomplie, libre, affranchie. Plus d'efforts de formation. Plus d'obéissance contraignante et restrictive à ses parents, puisqu'elle est devenue leur égale en « gagnant » et en contribuant ainsi à la vie du foyer.
Deux puissances alors se disputent la totalité de sa journée : le travail et les loisirs. Deux puissances qui exigent d'elle toute sa force physique, son intérêt, son idéal, toute sa vie, pour la façonner à leur image déformante, négative ; puissances dont elle ne pourra que difficilement se libérer.

L'usine ! La puissance qui séduit par une atmosphère. L'atmosphère vivante, excitante, trépidante, pleine de sous-entendus, qui a beau jeu pour forger une empreinte toujours plus profonde dans l'âme de celles qui, libérées mentalement de leur travail par la répétition continuelle du même geste, ont l'esprit ouvert à toutes les ondes qui passent et repassent au travers de l'ambiance de fabrique.
Pas de solitude possible à l'usine, pas d'efforts à long terme, pas de réflexions nécessaires, aucune de ces choses qui sont des sources de richesses et d'entrain renouvelé. L'usine fait appel aux instincts les plus simples, les plus primitifs de l'humanité ; le cinéma, qui ne demande pas d'esprit critique ou d'effort intellectuel, la seconde bien, puisque la suggestion par l'image est toute puissante dans ces corps qui ne cherchent que la détente. La danse, elle, offrira sa musique, son rythme.
Que désirer de plus ? Le travail de l'usine donne l'illusion de la dignité, le cinéma fournit celle du bonheur ou de l'aventure, la danse celle de l'amour.

La vie de cette jeune fille s'oriente vers le factice, vers la démission de ses responsabilités vis-à-vis de la famille, de la culture, de la vie intérieure.
Les années passent. L'adolescente a trouvé un compagnon auquel elle va unir sa destinée. Elle l'a rencontré au hasard d'un bal, d'un film ou de la promiscuité du travail. On s'est plu ! L'attrait physique semble seul compter dans la plupart de ces unions; la communauté de goûts et l'accord des caractères, l'affection véritable paraissent jouer peu de rôle.

Et puis, c'est la maternité. Certaines femmes attendent, il est vrai, leur enfant dans la joie et avec amour, mais que de déceptions et de souffrances les attendent. Peu d'entre elles élèveront leurs enfants, elles n'y pourront consacrer ni tout leur temps, ni toutes leurs forces. Elles leur donneront les quelques instants que laisse la vie d'usine. Rentrées à la maison, elles doivent penser au ménage, supporter les enfants qui attendaient dans la rue et reviennent difficiles et peu disposés au calme et à la discipline familiale. Faute de préparation, que de peines aussi pour arriver à gérer son budget, préparer les repas, veiller à l'hygiène et à une bonne alimentation de sa famille, savoir entretenir la maigre garde-robe !
Est-il étonnant alors que ces femmes s'aigrissent ou se rient de toute responsabilité sociale et familiale ?

Et voici, la vieillesse prématurée est déjà là. L'usure s'est faite plus vite chez elle. Le taudis, les expériences sexuelles précoces, les plaisirs effrénés, les maternités acceptées ou rejetées, le travail lui-même bien souvent peu adapté à la physiologie féminine, lui ont donné une mauvaise santé. Elle n'a aucune économie. Comment ses enfants la soulageraient-elle, eux qui ont déjà tant de peine à nouer les deux bouts?

La vie dans ses heurts lui a quand même apporté une maturité qui lui permet de se rendre compte de ce que fut son existence, si vide de sens, lui semble-t-il. Qu'en est-il de ses joies passées, de ses satisfactions ? Fatiguée par la vie, livrée à elle-même, sans aucune ressource de l'esprit, que deviendra-t-elle maintenant que son rendement économique est nul?

Essayer de comprendre, d'aimer et de soulager, ne serait-ce pas préférable que de critiquer sans avoir cherché à connaître, à savoir?









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