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Les « Entretiens sur l'éducation » est un mensuel publié sans interruption depuis plus de 100 ans.
Le site www.entretiens.ch vous offre la possibilité de consulter en ligne ces extraordinaires archives parcourant/ponctuant au jour le jour l'histoire de l'éducation familiale d'un bout à l'autre du XXème siècle.
La survie de la brochure mensuelle imprimée parallèlement à la distribution virtuelle à travers le site est le garant de la poursuite de cette aventure. La rédaction est assurée de façon bénévole par un groupe de parents passionnés par la réflexion et l'écriture autour du vécu familial. Les frais d'impression du journal et la gestion du site (100 000 pages demandées par mois??)....30.- par an (20€).
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La grande solitude

Plus nous avançons dans la vie, plus nous sommes frappé du malheur immense qui s'abat sur les innocentes victimes d'une surdité congénitale ou précoce, laquelle, comme on sait, entraîne le mutisme, et, comme on le sait moins, une ignorance quasi-complète des modalités de la vie sociale.

Revivant par la pensée une carrière déjà longue, nous constatons que les anormaux profonds ne souffrent pas moralement, leur état ne leur permettant guère de se comparer à leur entourage. Ils savent généralement jouir du soleil qui les réchauffe, de l'oiseau qui passe. Ils reçoivent les soins physiques nécessités par leur état, puisque nul ne peut ignorer leur dépendance. Un mot d'affection les enchante.

Les arriérés légers parviennent, grâce à une éducation rationnelle, à vivre d'une vie utile et se confondent, pour les yeux non avertis, avec les normaux .
Les paralytiques, une fois la souffrance morale acceptée, peuvent prétendre comme chacun à un épanouissement complet du cĹ“ur et de l’esprit. Quant aux aveugles, leur infirmité si frappante inspire tout la pitié à laquelle ils ont droit. Ils attirent la sympathie. Leurs qualités morales, exaltées et affinées par la terrible épreuve, font qu’on a un réel plaisir et un réel profit à s’entretenir avec eux.
Pourquoi faut-il que malgré tout l’élan d’amour et d’entr’aide que nous constatons autour de nous, le sourd-muet reste l’isolé, le paria, l’éternel méconnu ?
Hélas ! C’est qu’il est relativement facile à une personne dévouée de pousser la voiture d’un impotent, de promener un aveugle, de lui faire une lecture, d’apporter des fleurs à un malade, on se inexpérimenté et combien maladroit dès qu’on se trouve en face d’un sourd. Comment lui parler ? Que comprend-il ? Le comprendrai-je moi-même s’il me parle à son tour ? Ah ! comme on la sent, la grande barrière ! Comme on comprend alors que l’ouïe est le « sens » social par excellence… - Et l’homme n’est-il pas fait pour la vie en société ? Le vieux texte hébreux ne nous dit-il pas déjà qu’il n’est pas bon que l’homme soit seul ? La touchez-vous du doigt maintenant, la grande souffrance du sourd-muet ? IL est seul, toujours seul, seul avec ses idées, seul avec ses aspirations, seul avec ses questions qui restent sans réponse, seul dans le repliement de son âme, et d’autant plus seul qu’il a plus de monde autour de lui, riant, bavardant, faisant fuser les traits d’esprit, sans égard pour le pauvre sourd qui, ne sachant pas qui va parler, qui va répondre, ne peut suivre ces échanges rapides, ces répliques qui jaillissent de droite et de gauche. Etre seul dans sa chambre, ce n’est rien, mais être seul au milieu d’une société joyeuse, cela c’est la souffrance. Et se le sourd alors s’isole, se plonge dans une lecture intéressante, jouit de la vie à sa façon, alors l’entourage de le critiquer : « Il fait bande à part, c’est un original. »
Réalise-t-on, d’ailleurs, les efforts surhumains qu’ils ont fourni pour acquérir le langage, pour s’instruire de manière à pouvoir communiquer avec ce monde qui se soucie fort peu d’eux ?
Nous touchons ici du doigt la deuxième cause de l’isolement du sourd. C’est que rarement on se donne la peine de se représenter sa situation. On le juge, on le juge beaucoup, sans réfléchir, et ceux qui consacrent leur vie aux sourds ne peuvent que bondir d’indignation en entendant les remarques stupides dont sont l’objet ces incompris. Voulez-vous quelques exemples ?
« Rien qu’à entendre son rire, on se rend compte que cette personne est bête », me disait d’un air suffisant un sot quelconque faisant allusion à une dame très intelligente et cultivée, rencontrée au hasard d’une villégiature, et dont le rire, en effet, était anormal puisque cette dame, totalement sourde, n’avait pas le contrôle de sa voix.
Une autre sourde, très sympathique, me racontait d’une pauvre voix pleurante qu’une voisine l’avait peinée pendant des années par son attitude froide et agacée, jusqu’au jour oĂą elle appris que cette voisine lui en voulait du bruit qu’elle faisait en traînant les pieds. Et cette pauvre infirme, aimante et complaisante, qui s’était torturé l’esprit à chercher ce qu’on pouvait avoir à lui reprocher, de me dire : « Je ne me rendais pas compte que je traînais des pieds, et je ne savais pas que cela causait un bruit désagréable ! Je suis sourde ! Pourquoi ne me l’a-t-on jamais dit ? »
Evidemment, à un aveugle, on lui dit : « Attention, il y a un trottoir. Tirez à droite, une bicyclette est entreposée contre le mur. » Mais on ne dit pas à un sourd qu’il fait du bruit en mastiquant, que sa voix est trop forte, que sa porte grince et qu’il faudrait l’huiler. On lui en veut de ne pas ramasser l’objet qu’il n’a pas entendu tomber, de ne pas répondre à une salutation qu’il n’a pas entendue ni remarquée. On le trouve malpoli et malcomplaisant. Oh ! le mal que peuvent causer ces jugements injustes, de « normaux »qui n’ont jamais réfléchi à rien ! Au moyen âge, assure-t-on, on croyait que les sourds-muets n'avaient pas d'âme. Une telle croyance fait sourire à présent. Mais combien de personnes n'agissent-elles pas exactement comme si les sourds n'avaient pas d'âme? On leur parle à contre-jour, sans qu'ils puissent suivre le mouvement des lèvres et les détails de position de la langue, ou bien on parle en baissant la tête, et quand le sourd demande à ce qu'on lui répète la phrase, on hausse les épaules avec impatience. Le ferait-on si on pensait qu'il a une âme?…

Si, trop souvent encore, il se rencontre des sourds ignorants du savoir-vivre, maladroits dans les relations sociales, empruntés dans mille petits détails de la vie pratique, la faute n'en est pas à eux, mais à l'incompréhension, au laisser-aller de l'entourage. Le sourd de naissance peut être un inadapté social, mais c'est faute d'avoir trouvé quelqu'un qui l'aide à s'adapter. Il en est parfaitement capable ; il a en lui toutes les possibilités ; tel un mineur enfoui sous terre par un coup de grisou, il attend, il attend la délivrance. Et si la délivrance arrive en temps voulu son esprit saisit parfaitement les merveilles d'un horizon élargi ; il vit à l'unisson du reste de l'humanité, car le sourd de naissance a une âme, une âme aimante, capable de dévouement, très attachée à sa famille et à ses devoirs. Je pourrais citer telle petite sourde-muette qui, dès l'âge de neuf ans, s'est intéressée à la guerre (stratégie, économie, victimes) plus que des normaux beaucoup plus âgés ne l'auraient fait ; une toute petite à donné à la Croix-Rouge son joujou préféré; une autre, manchote par surcroît, a « tricoté» de nombreux carrés de laine pour la Croix-Rouge…

Favorisons l'éclosion de toutes ces promesses, et la fleur s'épanouira, le fruit mûrira.

Et si quelque âme a été saisie par la gelée, plaignons-la, ne la jugeons pas.









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