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Les « Entretiens sur l'éducation » est un mensuel publié sans interruption depuis plus de 100 ans.
Le site www.entretiens.ch vous offre la possibilité de consulter en ligne ces extraordinaires archives parcourant/ponctuant au jour le jour l'histoire de l'éducation familiale d'un bout à l'autre du XXème siècle.
La survie de la brochure mensuelle imprimée parallèlement à la distribution virtuelle à travers le site est le garant de la poursuite de cette aventure. La rédaction est assurée de façon bénévole par un groupe de parents passionnés par la réflexion et l'écriture autour du vécu familial. Les frais d'impression du journal et la gestion du site (100 000 pages demandées par mois??)....30.- par an (20€).
En dehors du grand intérêt pour vous de cette matière exceptionnelle, que vous soyez jeune parent, chercheur dans une université ou simplement intéressé par l'évolution des comportements humains, votre soutien par l'intermédiaire d'un abonnement nous est indispensable.
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Et pourtant l'aube… *

C'est le titre d'un livre écrit par une femme. C'est l'histoire d'une femme qui se penche sur son passé, en recherche tous les souvenirs vivants qu'elle porte en elle et veut écrire, de peur qu'elles ne se perdent et meurent avec elle, toutes les images de sa vie qui réapparaissent à son esprit.

Cette femme, Madame Lacure a souffert, elle a aussi fait souffrir, elle reconnaît ses erreurs, se juge sans complaisance. Cependant, à travers tant de difficultés, une présence invisible l'aide et la soutient « Dieu est de nouveau là, dit-elle, alors tout est de nouveau en ordre, et la douleur elle-même prend sa place. »

Cette femme a tout perdu, son enfant, Pierlou, son. mari, Henri, sa mère. Et sa vie qu'elle pouvait croire un instant inutile, porte encore des fruits, des fruits qu'elle peut offrir à d'autres. « Je n'ai plus Pierlou, plus Henri, ni maman, ni Noëlle, ni même Alain, ce dernier lien vivant avec le passé, cette dernière présence du passé, mais j'ai Elvina et sa vie chatoyante, Mme Miche et le vieux père Viennot. Il y aura toujours un prochain possible à aimer. Il y aura toujours ma vie, ses peines, ses défaites, ses misères et ses grâces à tendre des deux mains. Dieu soit béni ! »

C'est peut-être le style simple et naturel, le ton de narration si intime qui rendent la lecture de ce livre si prenante. Les pages où l'on assiste à la douleur de la mère qui perd son enfant sont émouvantes ; celles où l'épouse souffre de n'avoir pas compris et aimé comme il le méritait le mari qui disparaît à jamais, touchent profondément le coeur de toute femme. Elles montrent aussi combien il est facile de passer à côté du vrai bonheur.

Laissons parler Mme Lacure :

« - Ce que vous pouvez avoir l'air jeune, madame Lacure !
On me le dit souvent, mais si les autres s'étonnent, moi je ne m'étonne pas. Si je suis jeune, malgré mon âge et tout ce que j'ai traversé, c'est que je reste pour toujours la mère d'un petit garçon de douze ans. Les autres femmes vieillissent avec leurs enfants : Mme Miche porte les soucis de son fils et ceux de sa fille submergée par sa tâche ; M. Viennot ne peut ignorer qu'il est le père d'un grand garçon silencieux, et d'une fille, Elvina, qui l'inquiète. Moi seule n'ai pas eu à vieillir puisque mon petit garçon ne changera jamais.
Son image est éternellement fraîche comme il l'était, et dans mon coeur, je suis toujours la maman de ce Pierlou plein de vie, qui s'asseyait sur mes genoux et s'extasiait parce qu'il y avait des étoiles dans mes yeux.
Oh? je n'ai pas compris tout de suite, certes, le mystérieux privilège, et je me suis débattue contre ma douleur au delà de tout ce que je pourrai jamais écrire : le silence autour de moi, soudain, ce froid, cette solitude, il m'a fallu y descendre avec le coeur révolté, y descendre jusqu'au fond, avant de comprendre que Pierlou m'était gardé à jamais dans sa perfection d'enfance, dans cette joie débordante qui était la sienne.

Quelle image, celle-là… Je n'ai personne avec qui la partager; comme les autres, elle s'éteindra avec moi …
C'est une belle image que celle d'un petit garçon plein de santé et de joie, qui prend part à la vie des autres, qui s'intéresse à tout et vibre d'un coeur chaleureux. Je revois ses yeux bruns, lumineux, son drôle de petit nez ruisselant sur sa figure bronzée. Je revois ses jambes qui déjà s'allongeaient et sa silhouette qui allait se transformer, mais avant que le jeune homme ait surgi de ce corps d'enfant, la mort avait à jamais fixé l'image de mon petit garçon.

Je vis se dessiner devant moi dans l'obscurité le sourire d'Henri, ce sourire oublié qu'il avait quand Pierlou prenait sa main, en promenade. Après la mort de notre enfant, je n'avais rien fait de ce sourire, je n'avais pas su prolonger les lignes. Je n'ai rien fait de son honneur, j'ai laissé tomber tous les signes qui révélaient son être.
Et maintenant c'est trop tard, Henri a été jeté, loin de moi, dans une tombe hâtivement creusée.
Trop tard… Jamais je ne pourrai lui tendre le bouquet de tendresse et d'admiration, de remords et de regrets que la compréhension faisait lever en moi.

Je rouvris les yeux. Le jour dessinait la chambre. J'avais traversé toute la nuit sans quitter ce drame un instant des yeux, sans bouger. J'étais à bout. J'eus peine à me lever du fauteuil pour tomber sur mon lit.

Là, je mis ma tête dans mon bras, espérant en vain la détente des larmes. Mais comment pleurer quand on claque des dents, terrorisée devant sa propre image qui se dresse sans voiles, avec ses duretés involontaires? Comment pleurer quand on ne voit en soi qu'aridité, misère, désolation?

Pauvre Henri… Et à ce moment, pour la première fois depuis l'annonce de sa mort, je me mis à penser à lui, à lui seul, sans m'y mêler…

La vérité m'apparut soudain : Henri a eu un destin magnifique. Quelle plus belle aventure pour un homme de cinquante-cinq ans que de comploter dans l'ombre pour la libération de son pays, de canaliser les forces jeunes qui se cherchent. Quelle plus belle mort que d'aller jusqu'à donner sa vie en un vivant sacrifice?
Qu'importe si je n'en ai rien su, qu'importent même mes incompréhensions ou mes aveuglements? Pour lui tout est bien, cela seul compte.

Et si je n'ai pas su faire refleurir son sourire, ni su deviner son héroïsme, c'est secondaire, moi je ne suis rien, l'essentiel c'est que la vie ait recueilli ce qu'il pouvait offrir et lui ait donné son accomplissement.
Je consentais enfin à ma pauvreté, reconnaissante à la miséricorde infinie qui répare les brèches et comble les vides,.
J'étais là, tremblante et bouleversée, plongée dans la pensée d'Henri et presque heureuse de sa plénitude, lorsqu'une fois de plus j'entendis les mots sacrés : « Je suis là. »

J'en éprouvais un choc dont je puis encore aujourd'hui retrouver l'émotion. J'aurais voulu fuir…
La douceur imméritée de cette promesse, la charité de cette présence étaient incompréhensibles, je ne pouvais les accepter. Je me débattais, mais j'eus l'impression, soudain, d'être vaincue.

Je n'ai jamais avant, jamais depuis, sangloté comme en cette fin de nuit-là. »









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