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La France travaille pour sa jeunesse
Depuis que les hommes ont cessé de se battre, on a tourné les regards vers la jeune génération qui monte ; on s'est inquiété de ses réactions impulsives, de la place qu'elle avait conquise, en jouant souvent des coudes, sans égard pour ceux à qui elle doit le jour. On s'est ému d'une indépendance inconnue jusqu'alors qui s'affirmait dans tous les rangs de la société. Lorsqu'on a vu certains pays, comme la France, accuser une délinquance qui a passé de 12.139 à 34.000, on a compris que le problème repose sur des facteurs d'ordre social et moral avant tout, que les longues années de guerre, les exodes ne pouvaient que favoriser l'inconduite de la jeunesse, et que dès lors, il fallait susciter des lois, des réformes qui tiendraient compte de la personnalité du mineur et instituer des tribunaux spécialisés.
L'ordonnance promulguée chez nos voisins de l'ouest, le 2 février 1945, fut mise en vigueur le 1er octobre de la même année. Elle innovait un régime où il n'était plus question, comme jadis, d'assimiler un enfant coupable de treize ans à un délinquant majeur, mais de faire bénéficier jusqu'à l'âge de dix-huit ans tous les mineurs d'une « présomption d'irresponsabilité ».
Venue dix ans plus tard que chez nous, cette législation pénale en matière de délinquance juvénile, a eu pour effet, l'institution en France, d'une vingtaine de tribunaux spécialisés où la conception nouvelle des données psychologiques devait l'emporter sur la répression en honneur jusqu'ici. Dès lors, on humanisa les services de justice et la peine fut remplacée, comme chez nous, par la mesure éducative.
Il nous a été donné d'assister à une audience du tribunal de la Seine. Celle-ci a conservé quelque peu son apparat judiciaire. Revêtu de sa robe, coiffé de la toque, le juge est assisté de deux assesseurs laïques dont l'un est médecin et l'autre, en l'occurrence, était une mère de famille. Il s'agissait de prononcer quelques jugements d'internement et les jeunes justiciables, introduits par la police, étaient défendus aussi bien par un avocat que par une assistante sociale à qui l'enquête avait été confiée. Le ministère public était représenté.
S'il faut regretter le caractère spectaculaire de cette audience, il faut, d'autre part, se réjouir de l'autorité prépondérante dont est investi le juge des enfants. Dans le silence de son cabinet, il saisit à travers l'interrogatoire, bien des drames et la loi l'autorise à adresser au jeune coupable l'admonestation, à le confier, dans certains cas à ses parents ou à une tierce personne ou encore à le mettre en liberté surveillée.
La personnalité des juges du tribunal de la Seine nous fait augurer une législation pénale des mineurs basée sur une connaissance de l'âme des jeunes, sur leurs réactions, sur leur développement, à la faveur des événements, des conditions morales et matérielles de leur milieu et de leur psychisme.
La direction de l'Education surveillée, qui siège au ministère de la justice à Paris, converge ses efforts pour le placement des jeunes coupables. Elle a multiplié les réformes dans plusieurs établissements d'Etat. Il n'est plus question - du moins nous le croyons - de bagnes d'enfants, mais d'institutions qui songent, avant tout, à la réadaptation de leurs pensionnaires à une vie sociale où ils tiendront leur place aussi bien que le camarade qui n'a pas été déféré à la justice.
Parmi les sept établissements d'Etat, St-Maurice, La Motte Eeuvron à deux heures de Paris a ceci d'original : les jeunes gens qui y sont placés peuvent acquérir le C.A.P., c'est-à-dire le certificat d'aptitude professionnelle, dans un grand nombre de métiers. Leur passage à St. Maurice n'a rien d'artificiel. Leur directeur, M. Courtois, est une personnalité qui d'emblée vous fait comprendre que ses «gars» comme il appelle ses grands gaillards, ne seront pas désorientés à leur sortie. Il leur donnera, à tous, un métier, car c'est, en effet sous le signe du travail que cette maison a été édifiée.
Un ancien pavillon de chasse de Napoléon III, qui a conservé encore quelques traces d'architecture de l'époque, où l'empereur donnait des fêtes, est aujourd'hui la demeure de 220 jeunes délinquants. Il est entouré d'un domaine de 420 hectares.
Cette terre de Sologne, assez maigre et pauvre, nourrit un troupeau de deux cents moutons et le vieux berger qui le mène est fidèle à son poste depuis cinquante-cinq ans ; il voudrait bien passer la main à un plus jeune, mais le futur paysan préfère le gros bétail qui rumine dans les écuries à ces petites bêtes pacifiques.
Soucieux de ne pas isoler ses pensionnaires de la vie sociale que les jeunes gens pressentent hors des murs de St-Maurice, M. Courtois organise des matchs où la compétition étrangère à l'institut n'est pas rare. C'est ainsi, nous dit-il, avec un sourire malicieux, que mes gars ont remporté la victoire, la semaine dernière, sur la police de la Motte Beuvron!
Afin de faciliter son ascension à St. Maurice, le jeune homme passe successivement de la section de l' « Epreuve » à celle de « Normale » puis à celle de « Mérite » ayant chacune ses prérogatives et le même but : la réadaptation du mineur à la vie normale à la liberté.
L'apprenti cuisinier aussi bien que l'apprenti dessinateur se rencontrent sur le terrain de jeux, à la chorale, comme à l'atelier ou au laboratoire, avec un même sentiment de dignité humaine qui normalise leur vie et fait disparaître le complexe d'infériorité.
On peut vraiment parler de récupérabilité à St Maurice !
Les pauvres gosses parisiens, moralement abandonnés, ont eux aussi une institution privée qu'il ne faut pas oublier.
En plein Paris populeux, le patronage Rollet élève ses murs, 379, rue de Vaugirard. Ce foyer est dirigé par une équipe de jeunes qui pratiquent les méthodes scoutes.
L'idée du directeur de ce patronage est de lutter contre le système arbitraire du « groupe » où l'enfant n'est qu'un numéro.
Quant il arrive, il est intégré à la station d'accueil et présenté à l'éducateur qui le renseigne sur les dispositions qui seront prises à son égard. Pendant deux jours il est isolé dans une chambrette où il est libre de faire ce qui lui passera par la tête. De la terre à modeler, du papier, des crayons, des couleurs sont à sa disposition. Par la partie supérieure de sa porte qui est vitrée, il est observé par l'éducateur et ses assistants qui noteront tous ses gestes, ses actes, puis, après cette épreuve, il sera conduit, d'étape en étape à un groupe d'observation, puis à celui d'éducation, de rééducation et de réadaptation. Par des moyens très simples, niais vérifiés et contrôlés par des spécialistes : médecin, psychiatre, psychologue, on arrive à créer un petit monde qui chante, joue et rit dans la cour sous le regard d'un moniteur guère plus âgé, qui lui donne ce qui lui a manqué jusqu'ici une dose d'affection!
Quant des hommes éprouvés par les conditions précaires de l'après-guerre tentent, pour la jeunesse, une telle expérience, il faut croire en des temps meilleurs.
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