
|
|
Les « Entretiens sur l'éducation » est un mensuel publié sans interruption depuis plus de 100 ans.
Le site www.entretiens.ch vous offre la possibilité de consulter en ligne ces extraordinaires archives parcourant/ponctuant au jour le jour l'histoire de l'éducation familiale d'un bout à l'autre du XXème siècle.
La survie de la brochure mensuelle imprimée parallèlement à la distribution virtuelle à travers le site est le garant de la poursuite de cette aventure. La rédaction est assurée de façon bénévole par un groupe de parents passionnés par la réflexion et l'écriture autour du vécu familial. Les frais d'impression du journal et la gestion du site (100 000 pages demandées par mois??)....30.- par an (20€).
En dehors du grand intérêt pour vous de cette matière exceptionnelle, que vous soyez jeune parent, chercheur dans une université ou simplement intéressé par l'évolution des comportements humains, votre soutien par l'intermédiaire d'un abonnement nous est indispensable.
Pour les pays lointains et si vous ne désirez pas profiter de la version papier, un abonnement sous forme de pdf est accessible au même prix annuel de CHF 30. Il vous donne un accès complet aux archives
J'écris à mes enfants
Un petit soldat breton se mourait d'une grave blessure à l'hôpital, mais, plus encore que son corps, son âme semblait atteinte d'un mal indéfinissable. Il était comme détaché de la terre et déjà loin, très loin des hommes. On fit venir le père de son hameau lointain, et celui-ci, désolé, se tenait à côté du lit de son gars qui le reconnaissait à peine. Cependant il vidait sa musette contenant quelques pauvres cadeaux, mais le blessé demeurait insensible. Il avait aussi dans sa musette un quignon de pain cuit dans le four familial, qu'il posa sur le lit.
A cette vue, le petit soldat soudain se ranima « Du pain de la maison! du pain de la maison! oh père, dit-il, donne-le moi, comme il sent bon ! » et il mordit dedans avidement. Ce morceau de pain ressuscita son corps et son âme ; dès ce moment, les forces lui revinrent avec le goût de vivre pour revoir le foyer si cher et ceux qui l'habitaient.
J'ai souvent pensé que les lettres que nous écrivons à nos enfants absents doivent être tout simplement comme du pain de la maison. Par quelques détails pittoresques sur le moment et la chambre où nous écrivons, nous leur donnerons tout d'abord la vision de la silhouette familière qui se penche sur sa feuille de papier pour leur rendre visite. Puis nous raconterons les faits et gestes coutumiers nous parlerons des gens que nous voyons et qu'ils connaissent; nous leur donnerons des nouvelles du jardin, du chat, de la colporteuse-marchande de biscuits qui revient toujours à nous parce qu'elle sait que nous l'allégeons toujours d'un cornet de bricelets. Tout cela créera l'atmosphère, ce sera comme la bonne odeur du pain de la maison. Naturellement ce que vous écrivez dépend essentiellement de l'âge de l'absent, mais aucun, croyez-le bien ne sera insensible à une évocation toute simple de la vie à la maison telle qu'il l'a connue et, j'espère, aimée. Ensuite nous pourrons aborder sans peine des sujets plus personnels ou plus profonds parce que nos regards amicaux se seront croisés autour de personnes et d'objets familiers.
Mais surtout pas le genre conseil ou exhortations cela ne porte pas et coupe immédiatement le contact. Si, cependant, nous avons à exprimer un avis, donnons-nous la peine de lui trouver une forme plaisante qui ne les rebutera pas. L'imagination est un auxiliaire précieux dans la correspondance avec ses enfants pour colorer, agrémenter et recouvrir d'un manteau aimable et séduisant les choses un peu ternes ou terre-à-terre que nous avons peut-être aussi à dire. Mais par-dessus tout évitons absolument les plaintes, les jérémiades et les récriminations sur la vie chère, les temps difficiles, etc., qui ne les intéressent absolument pas. Profitons au contraire de ce qu'ils ne voient pas nos rides et nos traits fatigués pour sortir de nous-mêmes tout ce qui est demeuré jeune et enthousiaste et leur en faire cadeau.
J'ai cinq enfants non mariés, très souvent absents de la maison depuis quelque temps, et je sais qu'ils aiment pouvoir compter sur une lettre à jour à peu près fixe. C'est comme une visite qu'on attend, une visite qui fait plaisir (ô privilège de notre rôle maternel !) avant, pendant et après, à condition que nous écrivions avec abandon et dans un style aussi alerte que nos pieds qui savent si bien trotter prestement au foyer. Ils aiment aussi que nous servions de lien vivant entre eux, que nous écrivions à chacun des nouvelles des uns et des autres, afin que la vie de famille continue, malgré la séparation.
Que tout cela est bel et bon, mais comment faire pour être sûr de répondre vraiment aux besoins profonds du coeur de chacun ? L'amour maternel certes peut nous donner la juste inspiration ; je crois qu'il faut y ajouter le geste des mains jointes en prière sur la feuille blanche qui attend notre lettre, car Dieu seul peut conduire notre pensée et notre plume pour nous faire écrire au bon moment les bonnes choses que notre enfant attend.
Et c'est ainsi que la séparation, grâce aux lettres échangées, deviendra l'occasion d'une communion du coeur que la présence quotidienne ne favorise pas toujours.
|
|
|