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Par où commencer?
Il était assis devant elle, pâle et tendu dans une attitude de défense. Elle lui avait demandé un moment d'entretien parce que sa mère le lui avait confié et qu'il essayait par tous les moyens d'échapper à sa surveillance. Il menait une vie indisciplinée dans tous les détails, travaillait très peu et manquait l'école au moindre prétexte. Il cherchait surtout à s'amuser ; cela ne pouvait continuer ainsi.
Mais, en face de ce garçon fermé et hostile, elle sentit tout d'abord son impuissance; c'étaient deux mondes qui se heurtaient : le sien, tempéré et assagi par de nombreuses années d'expériences, celui de l'autre (16 ans), plein de désirs chaotiques, de soif d'indépendance, plein aussi de méfiance envers les « grandes personnes » qui voudraient le brimer. Il fallait d'abord tisser entre eux un lien de confiance, rien à faire sans cela.
« Quand j'étais petite, lui dit-elle, ma mère m'appelait sa « panthère noire», parce que j'étais sauvage et indisciplinée. C'est une belle chose d'être libre et je comprends que vous aimiez la liberté que vous trouvez ici, dans votre nouvelle vie, après des années d'internat. Mais être libre ne signifie pas faire tout ce qu'on veut d'une façon désordonnée. Etre libre signifie pouvoir choisir la manière dont on marchera sur la route de la vie, et se donner à soi-même, librement, une discipline et une règle de vie.
« Quand vous étiez petit, vous étiez préservé du mal par des défenses et des permissions, vous étiez sage par obligation, non par conviction. Maintenant l'homme doit grandir en vous, qui choisit ce qu'il veut faire et sait pourquoi il veut le faire. Mais c'est un apprentissage long et difficile ! »
Le garçon avait écouté attentivement, son visage s'était un peu éclairé. «C'est vrai que c'est difficile, dit-il. Quand j'étais à l'institut, je ne voulais pas travailler parce qu'on voulait m'y forcer. Et ici où je suis libre, je ne travaille pas davantage parce que cela m'ennuie de monter dans ma chambre. Je crois bien qu'il faut que vous m'aidiez, ajouta-t-il brusquement. Tout seul, je n'ai pas la force de le faire.
Elle pensa : pauvre garçon, il refait l'expérience millénaire exprimée par celui dont il porte le nom, mais il est maintenant sur le terrain solide de la sincérité.
« Paul, reprit-elle à haute voix, je vous propose une alliance. A deux on est beaucoup plus fort pour lutter. Notre but sera la conquête de votre discipline personnelle ; nos moyens, le petit effort quotidien, persévérant, où je serai à vos côtés pour vous crier : « halte-là ! » ou au contraire « en avant ! ». C'est aussi pour moi que je combattrai, car j'ai encore beaucoup à apprendre moi-même. » Elle savait bien en effet que, dans cet apprentissage de la liberté, on ne peut pas dire seulement : il faut faire ci, il faut faire ça. Il faut marcher devant en le vivant soi-même.
Maintenant Paul avait pris une pose plus détendue, son regard s'était ouvert, quelque chose comme un sourire éclairait son visage. Elle pensa « Je n'ai plus d'illusion sur-la nature humaine… mais je crois aux miracles, parce que j'en ai vus autour de moi. Pourquoi un miracle ne se passerait-il pas dans la vie de ce garçon ?» Et une grande espérance remplit son coeur.
Tous deux se taisaient, mais quelque chose de vivant, comme un lien d'amitié, était en train de se tisser entre eux qui rendrait plus faciles les victoires futures.
«Voulez-vous que nous essayions, dit-elle encore? Vous pourrez venir me parler quand vous voudrez, et ensemble nous chercherons comment faire de mieux en mieux. Vous verrez la joie qu'il y a à prendre en main sa vie et à forger les points d'appui sur lesquels elle se construira. Nous serons deux amis attelés au même effort, et nous essayerons de devenir des êtres véritablement libres. »
Quand ils se séparèrent, elle sentit qu'un tout petit commencement était né, très frêle encore, mais riche de promesses, sur lequel elle devrait veiller de toute la force de sa foi et de son amour.
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