
|
|
Les « Entretiens sur l'éducation » est un mensuel publié sans interruption depuis plus de 100 ans.
Le site www.entretiens.ch vous offre la possibilité de consulter en ligne ces extraordinaires archives parcourant/ponctuant au jour le jour l'histoire de l'éducation familiale d'un bout à l'autre du XXème siècle.
La survie de la brochure mensuelle imprimée parallèlement à la distribution virtuelle à travers le site est le garant de la poursuite de cette aventure. La rédaction est assurée de façon bénévole par un groupe de parents passionnés par la réflexion et l'écriture autour du vécu familial. Les frais d'impression du journal et la gestion du site (100 000 pages demandées par mois??)....30.- par an (20€).
En dehors du grand intérêt pour vous de cette matière exceptionnelle, que vous soyez jeune parent, chercheur dans une université ou simplement intéressé par l'évolution des comportements humains, votre soutien par l'intermédiaire d'un abonnement nous est indispensable.
Pour les pays lointains et si vous ne désirez pas profiter de la version papier, un abonnement sous forme de pdf est accessible au même prix annuel de CHF 30. Il vous donne un accès complet aux archives
Petites causes
grands effets!
Lorsque j'étais enfant, mes parents, modestes ouvriers, me faisaient mettre des galoches pour aller à l'école. Dans la classe et le long des corridors mosaïqués, je faisais un bruit de tonnerre. L'on m'appelait « galoche, galoche». Je n'osais pas courir, et restais coite dans mon coin pour que l'on m'oublie. L'on me disait aussi : « Qu'est-ce que vous êtes pauvres chez vous !» Et d'un oeil d'envie, sans en avoir l'air, je guignais en les désirant, les bottines de mes compagnes. Toute ma vie scolaire a été assombrie par mes galoches.
J'avais de longues jambes qui poussaient trop vite. Maman me rallongeait mes bas d'hiver, et presque toujours la laine ayant déposé sa couleur au lavage, l'ajouture se voyait très nette au-dessus du mollet. Nous habitions la campagne, mais comme ceux des villes, les enfants sont cruels sans s'en rendre compte. Ils me tournaient en ridicule et j'ai fait pleurer ma mère qui passait ses veillées et une partie de ses nuits à me rallonger mes bas, parce que je ne voulais pas les mettre.
Ma mère, avec la vie qui lui était faite, devint dure. Sous prétexte de ne pas nous amollir, de nous armer pour la vie, elle nous rabrouait, nous bousculait, ne faisant pas de sentiments, n'aimant pas les cajoleries et encore moins les pleurs. Elle appelait tout cela « comédie». Lorsque, jeune fille, je commençais à fréquenter - oh ! de ces fréquentations naïves de 16 à 17 ans - j'avais parfois des chagrins parce qu'une autre m'avait supplantée. Ma mère se moquait de moi à tel point que je m'enfermais aux W. C. pour y pleurer mon saoul. Ma mère trouvant que mon absence durait par trop longtemps, cognait du poing à la porte et force m'était de sortir en reniflant et les yeux rougis. C'était alors un interrogatoire en règle auquel, par fierté, je ne voulais pas répondre par peur de son ironie. Pour moi, tout cela avait une grande valeur. Pour elle c'était des riens. Mon mutisme la faisait sortir de ses gonds, et v'lan, j'attrapais une gifle avec cette mention : « Maintenant, tu sais pourquoi tu pleures ! »
Ces procédés finirent par me bloquer complètement. Lorsque quelqu'un me faisait part de choses tristes, je répondais invariablement : « Qu'est-ce que vous voulez que cela me fasse? Ça ne me touche pas. » Et je chantais. Je me fis ainsi la réputation d'un être «sans cÅ“ur » et pourtant
Ne prenant pas la peine de chercher le pourquoi, on me disait toujours : «Mon Dieu, que tu es bête, que tu es bête! » Il est vrai que je n'avais pas la compréhension leste, et que bien souvent mon esprit était ailleurs. Vite j'en pris mon parti. Bête j'étais, bête je resterai. Je devins passive, même avec mes camarades. La peur d'entendre la malencontreuse phrase m'interdit toute initiative, toute spontanéité, tout élan.
Ce n'est que plus tard, beaucoup plus tard, que je décidais, par un sursaut d'orgueil, de me faire valoir. Ce fut très long et très difficile. Mon manque d'assurance et la peur de lire dans les yeux de ceux qui m'écoutaient la fatale petite phrase, m'enlevait tous mes moyens.
J'y parvins cependant, après bien des luttes, bien des découragements et des « remontées ».
Et maintenant, lorsque je vois de petites têtes blondes ou brunes et que je peux leur dire un mot d'encouragement, je n'y manque jamais. Cela m'a tellement manqué à moi.
|
|
|