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La maîtresse de couture qui piquait autant que ses aiguilles

Apprendre à coudre et particulièrement à broder me ravissait. Or cette année-là, à la rentrée des classes de 1963, la volée dont je faisais partie allait découvrir un bâtiment moderne, en fonction depuis un an : le Cycle d’Orientation. Quel changement avec la vieille école du centre ville que j’avais fréquentée durant tant d’années ! Ces nouveaux locaux et particulièrement celui réservé aux travaux manuels, avec ses baies vitrées donnant sur un bois, m’enchantaient.
- Installez-vous en silence! ordonna une voix qui aurait pu doubler la sorcière dans Blanche Neige.
Notre nouvelle maîtresse de couture venait de nous souhaiter la bienvenue.
Elle s’agitait entre de larges et grandes tables autour des quel les nous fûmes conviées à nous asseoir. Notre salle était lumineuse et aérée. Et pourtant, j’allais m’y sentir dépérir.
La dame, d’un âge certain, maîtrisait sa discipline à la perfection. Elle possédait des doigts en or. Hélas, elle n’avait pas reçu en option la grâce du partage de cette richesse avec autrui ! Je la revois inspectant nos travaux, penchée en avant, son index arc-bouté contre ses lunettes-loupes. Ces dernières coulissaient d’un étage dès que ce doigt les quittait pour pointer notre ouvrage. Et chaque arrêt s’accompagnait immanquablement d’un jugement énoncé à haute voix.
Au folichon programme du premier trimestre (relents persistants de fin de guerre, sans doute), nous allions apprendre à rapiécer un fond de culotte usé et, à défaut de vieux pantalons, nous reçûmes un carré de tissu préalablement balafré! Au départ, blanc et repassé, il devenait au fur et à mesure des leçons, tout gris et chiffonné : mains moites d’angoisse oblige.
Nous redoutions les contrôles personnalisés de la dame, prometteurs d’une nouvelle critique acerbe, à tous les coups humiliante : « Quel mari voudra d’une si médiocre repriseuse? Regardez-moi ça ! Y a-t-il seulement un point commun entre cette serpillière et le modèle que je vous ai montré ? ». Ses remarques, faites à la cantonade, s’accompagnaient d’un rire pesant, rire qu’elle souhaitait contagieux en nous fixant par-dessus ses lourdes lunettes, nous prenant ainsi à témoin. Bien que non volontaires, nous nous sentions obligées de sourire aussi.
Quel spleen m’envahissait quand le mardi suivant, soulevant le couvercle de ma boîte brune et rectangulaire, je me retrouvais face à face avec le lamentable coupon de coton. De semaines en semaines, il restait aussi blessé dans sa trame que je l’étais dans mon âme.
Au deuxième trimestre, mon challenge allait être de devoir tricoter une paire de chaussettes en grosse laine grise, pour l’armée, avais-je cru comprendre. Le cauchemar : à l’instar d’Achille, le talon me fut fatal. J’avais maille à partir avec quelques lâcheuses, qui prenaient un malin plaisir à quitter, dans la plus grande discrétion, l’une de mes quatre aiguilles pour filer subrepticement un peu plus bas à chaque mouvement. Mon incapacité à les rattraper ou juste à les empêcher de fuir, me désespérait. Et je vous fais grâce de l’augmentation ou de la diminution de mes rangs à bon escient. Dans cet atroce apprentissage, c’est sans conteste au niveau du talon que le bât blesse !
Je me vois encore repliée sur moi-même, les épaules voûtées, essayant de cacher mon vilain et difforme petit canard. Au fil des cours, le mardi devint synonyme de calvaire. Je ne pouvais imaginer quel mal heureux soldat, forcément invalide de guerre, allait bénéficier de ma paire de faux jumeaux : le premier, le pied droit, tricoté laborieusement dans une extrême volonté de bien faire, affichait un 35 fillette, tant les rangs serraient les dents. Alors que le deuxième spécimen, conçu dans l’ennui et le découragement, présentait des mailles hypotones, formant un ensemble d’une pointure 42 au moins !
Quel fantastique pouvoir avait sans le savoir cette piètre pédagogue, puisque mes pensées convergeaient dès le dimanche consommé, vers la prochaine maudite leçon, comme si son cours était la seule épreuve à franchir de toute la semaine, de toute ma vie de préadolescente.
Voilà pourquoi depuis, aucune aiguille n’a jamais pu raccommoder mon enthousiasme du premier jour, tristement fauché en bordure d’une grande table, un mardi après-midi de septembre.









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