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Les chaussures et l’autorité : évolution au cours d’un siècle

A l’aide d’un exemple simple et avec humour, Daniel Marcelli, professeur de psychiatrie, analyse l’évolution de l’autorité, les états d’âme que suscite son utilisation, ainsi que l’influence du vécu*. La situation est la suivante : un père rentre fatigué de son travail, se déchausse et découvre les souliers de son fils traînant dans l’entrée. La mère prépare le repas du soir.
1911 : Le père ordonne avec autorité à son fils de ranger ses godasses, mais n’hésite pas à laisser sa femme aligner les siennes.
1936 : Le père ordonne toujours à son fils de ranger ses souliers, mais un léger doute l’assaille. Ce sont finalement la mère et le fils qui mettent toutes les chaussures en place sans mot dire, mais avec un net sentiment d’injustice.
1961 : Le père demande à son fils de ranger ses chaussures, tout en se permettant de prendre du repos avant d’en faire de même. La mère et le fils lui font ouvertement remarquer qu’il devrait donner l’exemple.
1986 : Le père se pose la question : peut-il exercer son autorité ou préfère-t-il tout simplement laisser les chaussures telles quelles, ou ne serait-ce pas mieux de rappeler le respect des autres et donner l’exemple. La mère hésite entre soutenir son fils ou tout simplement abdiquer.
2011 : Il y aurait une machine programmable qui identifie le propriétaire, nettoie et range les baskets de toute la famille.
L’auteur se pose la question sur la possibilité d’autres évolutions futures.
Ma suggestion pour 2011 serait la suivante : C’est le père qui prépare le repas du soir. Il travaille à 50%, car sa femme ayant fait des études plus poussées que lui a un meilleur salaire et assure le revenu familial. Bien que cela fasse des années qu’elle répète la même chose, elle demande fermement à son fils qu’avant le repas, il range ses chaussures par respect pour les autres. Elle-même dépose ses mocassins à leur place, car ayant été mère au foyer pendant les mois qui ont suivi ses accouchements, elle connaît le côté ingrat des rangements quotidiens.
Et finalement, comment se gèrent les chaussures familiales chez nous? Pendant longtemps il était fréquent de trébucher sur des souliers de style et de taille variées dans notre vestibule. Il m’est arrivé de les aligner, car c’est ce qu’il y a de plus rapide ; mais en général je faisais venir le propriétaire afin qu’il mette de l’ordre non seulement en alignant ses chaussures, mais aussi en suspendant sa veste qui gisait un peu plus loin et en ramassant son sac d’école. Ces rappels quasi quotidiens sont usants, mais ils finissent par porter leurs fruits. Le sens de l’ordre est plus ou moins aigu selon les membres de la famille, mais je peux désormais considérer comme acquis que chacun sache qu’il est normal de ranger ses affaires.
Les connaissances en psychologie, en psychiatrie et en anatomie du cerveau ont beaucoup progressé durant les cent dernières années. Cet apport a fait évoluer notre manière d’exercer notre autorité, sans que cela ne nous ait apporté des recettes claires et faciles à appliquer. J’ai même l’impression que plus la science progresse plus elle dévoile l’extraordinaire complexité de notre mode de fonctionnement.
Arriverons-nous un jour à cerner comment agir en fonction des autres et à savoir comment éduquer nos enfants pour les préparer à l’avenir, tout en leur apprenant les règles de vie en société, tout en leur laissant la liberté nécessaire pour forger leur propre personnalité?
L’étude sur le mode de gestion des chaussures familiales a encore de beaux jours devant elle, à moins que l’on simplifie le problème en ne se déchaussant plus dès le passage de la porte d’entrée…


* Article : Des « godasses » aux « Nike », Daniel Marcelli, paru dans Enfances
& PSY, revue trimestrielle No 22, sur le thème « Questions d’autorité », éd. Erès,
Paris 2003, 160 pages.
Livre : « L’enfant, Chef de Famille, l’autorité de l’infantile », Daniel Marcelli,
éd. Albin Michel et Livre de Poche, 2003, 302 pages.









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