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La différence du bien et du beau
Dieu a fait toutes choses belles en leur temps. Eccl. III, V. II.
Littré définit ainsi le bien: «Ce qui est juste et honnête. Le souverain bien, le bien qui est infini en prix et en durée, c'est Dieu. Les biens de l'âme sont les vertus, les biens de l'esprit les talents, les biens du corps la force et la santé.»
Et voici la définition du beau: «Tout ce qui élève l'âme, en lui faisant éprouver un sentiment de plaisir. Beau, c'est ce qui plaît par la forme; le beau idéal.»
Le beau, le bien, le vrai sont inséparables; ils résident en Dieu, ils sont l'essence de sa nature. En créant le monde Dieu fit toutes choses bonnes et belles; nous ne pouvons nous figurer la création que comme la beauté et l'harmonie suprêmes. En créant l'homme à son image, Dieu lui donna la beauté morale et physique; elles sont inséparables dans l'idée de Dieu.
Tel nous apparaît l'Eden avant la chute. Mais avec l'entrée du péché dans le monde, l'harmonie fut rompue, l'homme en se détachant de Dieu entraîna la création dans sa ruine.
Lucifer, qui était autrefois le prince de la lumière devint par sa révolte le prince des ténèbres. Hélas, il a encore le pouvoir de se transformer en Ange de lumière, et séduit ainsi beaucoup d'âmes par la beauté apparente.
Notre monde, comme il est à présent, n'est donc plus dans l'harmonie du bien et du beau, nous ne le savons que trop !
Tout comme le sentiment du bien ne s'est jamais entièrement éteint chez les peuples païens (nous y trouvons au contraire mainte fleur d'origine divine!) ainsi toutes les nations possèdent-elles, d'une manière plus ou moins apparente, l'aspiration vers la beauté, aspiration qui a la même source divine. Nous savons en particulier combien les Grecs avaient amené à la perfection le culte du beau.
A l'origine surtout ils cherchaient à représenter la beauté morale à travers la beauté physique. Même en tâtonnant, l'âme païenne cherchait «ce Dieu inconnu» que Paul annonçait à l'Aréopage.
C'est aussi une des tâches de l'enfant de Dieu sur la terre que de ramener les âmes vers l'harmonie du bien et du beau. L'âme régénérée qui veut le bien et qui y aspire, celle qui reconnaît Dieu comme son Père, comprendra tout autrement les beautés de la nature et les chefs-d'oeuvre de l'art. Ceux qui sont inspirés par la pensée chrétienne surtout feront tressaillir cette âme d'une sainte émotion.
«Cette émotion, qui de nous ne l'a une fois ou l'autre ressentie devant quelqu'un des spectacles de la nature, devant la mer infinie, vis-à-vis des montagnes sublimes, ou simplement en présence d'un matin d'été frais et radieux, d'un éclatant coucher de soleil, ou quand la lune monte à l'horizon ? Oui, Dieu a fait le monde grand, beau, magnifique. Ce sont là les beautés de la nature ! Mais l'homme ne s'est pas contenté d'admirer la nature, il l'a imitée. Il a voulu faire, lui aussi, de belles choses, à l'image de celles qu'il voyait autour de lui; il a créé des oeuvres qui forment comme un autre monde de beautés, aussi admirables que la nature, il a créé le monde de l'Art».(1)
Dans nos enfants nous aurons à cultiver les deux côtés de l'harmonie du beau et du bien. A côté de tout ce qui est saint, juste et bon, nous cultiverons l'esthétique, la science du Beau. Elle est plus ou moins innée dans chaque être humain; il est rare qu'un enfant ne se réjouisse pas à la vue d'un rayon de soleil, d'une fleur, ou de quelque chose qui brille. Mais cet instinct ne suffit point, il faut qu'il soit développé par l'éducation.
A mesure que nos enfants grandiront, nous aurons à les rendre attentifs aux beautés de la nature et de l'art. Il faudra leur montrer l'harmonie des lignes et des couleurs, celle des sons de la musique, lire avec eux les chefs-d'oeuvres de la pensée écrite. Nous admirerons ensemble les oeuvres d'un Raphaël, d'un Beethoven, d'un Victor Hugo; nous éléverons nos pensées avec les leurs, nous partagerons leurs enthousiasmes. Mais nous leur montrerons aussi que dans notre monde déchu, beauté et bonté, bien et beau, ne sont pas toujours synonymes; qu'un beau visage ne correspond pas toujours à la beauté morale, que la beauté, glorifiée pour elle-même, est une idolâtrie, que séparée du bien, elle mène à la vanité, et qu'ainsi par exemple mainte oeuvre d'art, qui séduit peut-être au premier moment, nous désenchante bientôt si l'on n'y sent un but et une aspiration plus élevés.
Avant tout nous leur ferons admirer la beauté morale, les héroïsmes cachés et cela souvent sous des formes déplaisantes ou obscures. La beauté morale qui est la bonté, voilà ce que nous ne saurions assez exalter, et cette beauté là ne triomphera-t-elle pas en effet d'un physique sans charme, de la laideur même, si dans cet être brille la flamme sainte du vrai bien ?
Il me semble que s'il y a à distinguer entre le bien et le beau nous ne devons pas faire croire à nos enfants qu'il y ait forcément opposition entre les deux; mais que l'un et l'autre ont leur place dans l'existence. Nous parlons habituellement dans nos réunions de mères du bien, nous étudions ses différents côtés, notre but éducatif est de combattre le mal et de faire régner le bien. Aujourd'hui arrêtons-nous un peu devant l'autre face de la question et recherchons comment nos enfants, nos filles en particulier, peuvent enrichir leur existence en cultivant le sentiment du beau en elles et autour d'elles.
Je pense que toute jeune fille doit rechercher ce qui tend au goût (en commençant par la propreté et l'ordre sur sa personne), soit dans les vêtements qu'elle porte, soit dans la chambre qu'elle habite, soit dans les objets dont elle se sert. Il faut que de tout son être se dégage comme un parfum d'harmonie.
Point n'est besoin pour atteindre ce but de dépenser beaucoup d'argent. Telle jeune fille riche étonne par les couleurs criardes qu'elle porte, par l'arrangement bizarre de sa chambre ou par le désordre qui y règne; telle autre, vêtue d'une simple robe, fait plaisir à voir. Avec un bout de Liberty elle drappera sa fenêtre, avec un peu de couleur elle repeindra ses meubles, elle mettra quelques fleurs au bon endroit, elle saura ainsi orner la maison et y retenir par là même ses frères et plus tard son mari.
Pour terminer encore un mot : il peut y avoir des cas où notre enfant aura à choisir entre le bien et le beau, alors ce sera toujours le premier qui primera. Si derrière ce beau visage la jeune fille découvre une âme peu élevée ou fausse, elle ne doit pas hésiter à s'en détourner; si cette belle musique s'empare à tel point de son âme qu'elle en néglige son devoir et peut-être en oublie son Dieu, qu'elle la laisse. Dieu, un jour, la lui rendra peut-être, mais pour le moment qu'elle sache y renoncer. Il y a plus encore; si l'un de nos enfants, sentant les douleurs et les misères de l'humanité, est invité par Dieu à lui consacrer sa vie comme missionnaire, garde-malade ou diaconesse, il aura à renoncer à ce qui pour d'autres est légitime, aux biens dont ces autres peuvent jouir sous le regard de Dieu. Ne sommes-nous pas toutes appelées à suivre Celui qui, quoique «le plus beau d'entre les fils des hommes», a su quitter la gloire du ciel et ses harmonies sublimes pour venir vivre au milieu des laideurs de la terre ? Voyant tant d'êtres privés des beautés dont nous jouissons, désireuses pour notre part de contribuer à les leur procurer, ne saurons-nous pas donner le bon exemple à nos enfants en renonçant à telle ou telle chose, nous rappeIant que «les choses visibles ne sont que pour un temps mais que les invisibles sont éternelles» ? En agissant ainsi nous hâterons la venue du Règne du Christ sur la terre.
Nous pouvons toutes avoir le privilège d'être associées à ce travail là jusqu'à l'heure où le vrai, le beau et le bien ne feront plus qu'un, comme c'était dès le commencement dans la pensée de Dieu.
(1) Tiré de l'Art, par Elie Pécaut.
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