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Le rapport du petit enfant avec sa mère
De tous temps on a décrit l'extrême, l'absolue dépendance du nourrisson envers sa mère; on pensait surtout à la dépendance matérielle et instinctive. Une dépendance qui se prolongeait beaucoup plus chez l'homme que chez les animaux. Ce qu'on avait peut-être moins bien vu, c'est la dépendance affective et l'importance que les troubles de cette première relation peuvent avoir pour le développement de la capacité d'être aimé et d'aimer. Les cures psychanalytiques nous ont permis de remonter à la première enfance; elles nous ont montré que c'est jusque là qu'il faut aller pour trouver les sources de certains troubles qui ravagent la vie et rendent la situation affective de certains êtres sensibles si douloureuse, si insatisfaisante. Je pense à ceux que l'on appelle actuellement, dans notre jargon psychanalytique, les «abandonniens».
...Eh bien, ces abandonniens qui ne peuvent pas croire à l'amour des autres, qui sont dans une éternelle insécurité, qui passent continuellement par des crises d'angoisse de solitude ou d'angoisse d'abandon - les faisant soit s'accrocher aux autres d'une façon désespérée et malheureusement lassante pour ceux qui devraient être leurs sauveteurs, soit se replier dans une bouderie qui les isole encore beaucoup plus - ces abandonniens, qui ont tant de peine à trouver une solution à leur immense besoin d'affection, sont tous des êtres dont le lien avec la mère n'a pas pu s'établir ou se maintenir d'une façon satisfaisante et normale. L'important, en l'occurence, n'est pas que le lien ait été objectivement insuffisant; ici, comme dans tous les conflits affectifs, ce n'est pas ce qu'a fait et voulu la mère qui est le plus important, mais ce qu'a ressenti l'enfant. Que de fois ne nous arrive-t-il pas, qu'ayant entendu telle fille se plaindre d'avoir été privée d'amour maternel, nous découvrions en rencontrant la mère un être sensible, affectueux, très attaché à son enfant. Ce serait à décourager toutes les mères de la terre !
Cette discordance entre ce qu'a voulu et senti la mère et ce qu'a ressenti l'enfant est certainement dû à une sensibilité particulière de son «moi» comme on dit, une disposition nerveuse qui ne lui permet pas de s'accommoder de ce qui lui est donné à cause de la crainte qui naît trop facilement en lui de n'être pas aimé ou d'être abandonné, de perdre la protection et la sécurité dont il a tant besoin.
...Pour bien comprendre la situation, remarquons qu'il s'agit ici, chez l'enfant, de faits et non pas de suppositions, de faits psychologiques aussi réels que des faits physiologiques, organiques (comme le dépérissement, une scrofule, ou des troubles de l'appareil digestif). Nous devons en tenir compte en nous gardant de deux attitudes opposées et également fausses; la première consisterait à dégager notre responsabilité en disant: «Cet enfant n'a qu'à s'adapter à la situation comme elle est», ou bien «Il se fait des idées !». La seconde consisterait à dire «Quoi qu'on fasse, on s'y prendra toujours mal; inutile de chercher à satisfaire cet enfant!».
La seule attitude juste et que nous avons le devoir d'adopter, c'est la volonté de comprendre ce qui se passe chez ces petits. Alors nous agirons de la façon juste. Il faut que la mère sache que, pendant les premières années, elle est pour son enfant un être unique et tout puissant; qu'elle est sa première et unique sécurité; qu'en dehors de sa présence l'enfant se sent facilement en danger, puisque tout ce qui est inconnu et nouveau autour de là, gens et choses, est redouté comme étant un ennemi possible, un être maléfique, alors qu'elle est, elle, l'être bénéfique par excellence. Sa mission est donc de lui procurer le sentiment de sécurité d'un côté par sa présence, par la fidélité de sa présence (une présence réelle, une présence de coeur, et pas seulement une présence matérielle), et de l'autre en l'apprivoisant au monde, en l'accompagnant dans sa découverte du monde, des choses, des animaux et des gens. La mère doit agir dans l'idée que ces dangers sont réels aux yeux de son enfant et l'aider à passer de l'idée qu'il s'en fait par anticipation (un danger) à leur connaissance réelle en les approchant avec lui (caresser le chien). On sait que ces dangers extérieurs ne sont qu'une partie des choses maléfiques que redoute le petit enfant. Les dangers intérieurs ne sont pas moins importants: le risque d'être moins aimé ou de n'être plus aimé du tout. Etre moins aimé parce que l'on recoit un petit frère ou une petite soeur; être moins aimé parce que maman se désintéresse de vous pour s'occuper d'autres choses; être moins aime parce qu'on est méchant ; être moins aimé parce qu'on est une fille au lieu d'être un garçon, ou un garçon au lieu d'être une fille.
Si la mère se rend clairement compte de cette situation, elle sera protégée aux maximum contre de graves erreurs de comportement. Elle saura que la seule présence qui donne la sécurité à l'enfant, je le répète, c'est la présence intérieure, la présence du coeur et des pensées, c'est l'intérêt, c'est l'amour même muet. Une présence seulement matérielle est un leurre qui ne peut satisfaire l'enfant. La mère saura que, lorsqu'elle donne son amour à un autre être (comme son mari, un second enfant né ou à naître, un travail qui l'intéresse), l'enfant le sent; or ce don d'elle-même à différents êtres ou différents objets est une nécessité; ce serait faux de vouloir l'éviter à son enfant; ce qui est juste, c'est de savoir qu'elle éveille facilement en lui la crainte d'être moins aimé ou abandonné (crainte qui se transforme en général en conviction, en certitude d'être abandonné; si elle tient compte de ce fait, elle saura précisément ne pas abandonner cet enfant, être toute à lui lorsqu'elle s'occupe de lui, deviner ce qui se passe en lui et le rassurer d'un geste ou d'une parole, du geste ou de la parole précisément qui auront le timbre de la compréhension si je puis dire. Ne pas abandonner un enfant, ce n'est pas être constamment avec lui, être son esclave, c'est deviner, et agir ou «être» en conséquence.
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