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Institutrice «malgré tout»

Il m'arrivait souvent d'aller regarder à travers les grilles la leçon de gymnastique que l'institutrice, Mademoiselle M., donnait à toutes les petites filles de l'école primaire. Elle avait lieu dans le grand préau qu'entouraient les bâtiments des classes. Ma fille était parmi les écolières, et j'avais grand plaisir à voir les évolutions joyeuses et cadencées de tout ce petit monde, dont le long ruban prenait les allures les plus diverses, se croisant, se dénouant, s'étendant ou se rassemblant au rythme de gaies chansons. Celle qui commandait les manoeuvres avait une voix claire et bien timbrée qui s'entendait de loin. Elle bougeait peu et, quand elle marchait, elle avait une étrange démarche, raide et pesante.

Cette institutrice dynamique, joyeuse et sereine avait deux jambes de bois.

Quant elle était un tout petit enfant marchant à peine, son père l'avait prise un jour avec lui dans les champs pour décharger la mère accablée de besogne. Il fauchait à la machine les hautes herbes fleuries et avait installé sa petite à l'ombre au bord du champ. Mais la petite avait marché dans les graminées semées de coquelicots et de marguerites où elle disparaissait, et l'implacable machine avait fauché les petites jambes sans plus de peine que l'herbe ondoyante. Un cri terrible de douleur panique ! Le père devine le drame, saute à bas de sa machine, trouve la petiote fauchée par terre au milieu des coquelicots et rouge comme eux de son sang vermeil. Il l'emporte comme un fou à la maison, avec les petites jambes dans le panier du goûter. Le docteur, appelé en hâte, fait un pansement sommaire pour qu'elle ne baigne plus dans son sang, avant de mourir, pense-t-il.

Mais le lendemain elle était si «vigousse » encore, cette petite fille des campagnes de France, qu'il dit: «On la sauvera peut-être». Et il refit mieux le macabre pansement.

Elle vécut et grandit, cette brave petite fille. Elle fut emmenée à l'école dans une poussette par ses frères et soeurs. Elle était vive, intelligente et énergique et prit le coeur de l'institutrice de son village qui l'adopta et en assuma l'éducation et l'instruction.

A son tour elle devint institutrice; c'était la seule carrière qui pouvait satisfaire son grand coeur et son dynamisme. Et c'est ainsi que ma fille eut l'inestimable privilège de l'avoir comme maîtresse d'école.

Dans sa classe régnait une émulation remarquable. Elle stimulait la personnalité et développait simultanément un esprit d'équipe. Elle faisait souvent travailler ses élèves par petits groupes. Un jour, par exemple, trois groupes devaient faire chacun à sa manière un travail sur l'étourdi. (Il est probable que des faits très concrets avaient motivé ce choix !) Après que les trois travaux eussent été rendus et dûment lus et commentés par la maîtresse, celle-ci avait conclu en leur lisant «l'Etourdi» de Molière. Car elle savait toujours faire des lectures qui les emmenaient plus loin. Elle avait organisé une cagnote pour une bibliothèque circulante entre ses petits élèves de neuf ans, et c'était à qui apporterait quelques sous ou une bonne idée de livre.

La joie au travail était telle, parmi ces petites filles, que plusieurs d'entre elles s'étaient réunies en deux ou trois équipes, en dehors de l'école, pour apprendre et répéter des scènes de Molière, en surprise de la maîtresse, pour fêter son anniversaire. Je me souviens encore des répétitions enthousiastes qui eurent lieu à la maison avant le grand jour.

Mais, mieux encore que le goût au travail, cette femme d'élite savait éveiller la conscience de ses élèves. Comme en se jouant et toujours en s'appuyant sur des faits concrets, elle développait chez elles le sens du devoir et de la responsabilité. C'est ainsi que chaque mois, lors de la réunion obligatoire des instituteurs du canton, c'était à tour de rôle une des élèves de la classe qui la remplaçait à son pupitre, et pendant toute la journée, le travail prévu se poursuivait dans un ordre et un silence parfaits, comme si la maîtresse était là, car son ombre aimée continuait réellement à les accompagner et personne n'aurait voulu la décevoir.

Quand nous quittâmes la ville de R., ma fille fut inconsolable, mais elle emporta avec elle, comme un trésor impérissable, le souvenir de la femme de coeur qui avait su conquérir le sien, comme tant d'autres, et ouvrir son intelligence à la vie de l'esprit.









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