Accueil
   

 

 

 

RECHERCHES
Rechercher un mot dans les articles:


Recherche avancée
• par mots
• par thèmes

ARCHIVES DE TOUS LES ARTICLES



AUTRES MENUS
ACCUEIL
ADRESSES
  • Adresses utiles
  • Bibliographie
  • Liens Internet
LE JOURNAL






Les « Entretiens sur l'éducation » est un mensuel publié sans interruption depuis plus de 100 ans.
Le site www.entretiens.ch vous offre la possibilité de consulter en ligne ces extraordinaires archives parcourant/ponctuant au jour le jour l'histoire de l'éducation familiale d'un bout à l'autre du XXème siècle.
La survie de la brochure mensuelle imprimée parallèlement à la distribution virtuelle à travers le site est le garant de la poursuite de cette aventure. La rédaction est assurée de façon bénévole par un groupe de parents passionnés par la réflexion et l'écriture autour du vécu familial. Les frais d'impression du journal et la gestion du site (100 000 pages demandées par mois??)....30.- par an (20€).
En dehors du grand intérêt pour vous de cette matière exceptionnelle, que vous soyez jeune parent, chercheur dans une université ou simplement intéressé par l'évolution des comportements humains, votre soutien par l'intermédiaire d'un abonnement nous est indispensable.
Pour les pays lointains et si vous ne désirez pas profiter de la version papier, un abonnement sous forme de pdf est accessible au même prix annuel de CHF 30. Il vous donne un accès complet aux archives
RETOUR

L'évolution du jeu chez l'enfant

(du jeu-vie au jeu de règle)

Le jeu est, sans doute, l'activité enfantine qui donne lieu entre les petits et nous, au plus singulier des malentendus.

Lorsque dans nos vies laborieuses de grandes personnes, nous nous accordons le temps de jouer, nous avons le sentiment obscur et profond d'un retour en arrière sur le chemin de notre enfance et il nous paraît, ce faisant, que nous nous rapprochons de nos petits.

Est-ce bien le cas ? notre jeu d'adultes est-il réellement le reflet fidèle du premier jeu que nous avons joué ?

Il faut vivre avec des enfants pour réaliser que sur ce point, comme sur tant d'autres, nous ne parlons plus le même langage.

Notre jeu, en effet, est un amusement bien défini qui a un commencement, une fin logique. Il obéit à des règles souvent fort compliquées, il fait des gagnants et des perdants.

Comparé à cet amusement, le jeu des tout-petits apparaît si différemment du nôtre qu'il faudrait presque un mot nouveau pour en définir l'essence. En fait il s'agit bien plus d'une vie que d'un jeu, - une vie riche et pleine que l'enfant crée avec une puissance d'imagination surprenante. Dans ce jeu-vie, l'enfant ne connaît ni le gain ni la perte. Il habille en pensée les moindres accessoires. Pour lui, tout est possible. Il est lui-même et il est l'autre... et s'il en vient à subordonner son jeu à un thème donné (le jeu de l'école, par exemple), il participe bien plus à une sorte de «monologue collectif» - selon le mot très évocateur du professeur Piaget - qu'à un dialogue concerté.

Ce jeu qui satisfait si complètement l'égocentrisme enfantin ne s'embarrasse jamais de règles. Son thème essentiel est une imitation de tout ce qui entoure le petit enfant: imitation des choses et des bêtes, imitation de notre monde bruyant et mécanisé, mais avant tout, surtout et inlassablement, imitation de notre vie d'adultes.

Ainsi, - et c'est là un premier paradoxe - l'enfant poursuit son jeu sérieux, il joue à «nous», alors que nous-mêmes, les adultes, nous croyons redevenir petits et nous rapprocher de lui en jouant notre jeu.

Mais voici que survient, entre sept et huit ans, une bien curieuse période de transition au cours de laquelle l'enfant va peu à peu renoncer au jeu qui est l'essence même de sa vie pour adopter notre jeu socialisé: le jeu de règle.

Pourquoi cet abandon d'une activité si féconde? C'est qu'à l'âge de sept ans, l'enfant prend conscience de son jeu. Il réalise qu'il joue et non plus qu'il vit notre vie. Il surprend nos sourires, notre amicale condescendance. A jouer de la sorte, il sent que nous le jugeons petit, lui qui a un si grand désir d'être grand. Vis-à-vis de nous, il a hâte de donner le change. Son jeu, dès lors, va devenir un domaine de plus en plus fermé à l'intrusion maladroite des adultes. Il ne l'abandonnera pas pour autant, mais, il le préservera toujours davantage de l'incompréhension amusée des grandes personnes.

C'est alors qu'apparaissent les premiers jeux de règles. Que de fois n'ai-je pas observé les débuts laborieux de ces premiers jeux. Invitations chantées: «Qui est-ce qui veut jouer à ilai, par-ci, par-ci, par-là»... qui remplissent à elles seules toute une récréation, - essais de rondes - tentatives de courses et de compétitions. Le plus souvent, ces premiers essais échouent et le jeu-vie reprend ses droits.

L'exemple suivant traduit bien les réactions inattendues de l'enfant aux prises avec les premiers jeux de règles: Mes petits élèves ont organisé tout seuls la ronde du beau château. Chacun attend le moment heureux où il sera invité à passer dans la nouvelle ronde. Claude, soudain lassée de cette attente, abandonne le jeu en disant à ses camarades:

- «Continuez à danser... pendant ce temps, je vais préparer la soupe !»

Claude n'a pu résister à l'appel du jeu-vie. Elle s'y réfugie avec joie, car son égocentrisme ne lui permet pas encore d'accepter le poids d'une règle, si légère soit-elle.

Cet exemple est loin d'être un cas isolé. Et pourtant, malgré des débuts décevants et laborieux, le jeu de règle s'installe peu à peu dans la vie du préau.

Est-ce à dire que l'enfant aime ce jeu nouveau? Je ne le pense pas car il porte en soi le douloureux apprentissage du «savoir perdre». Il implique des partenaires un ordre, une attente, un rôle enviable et beaucoup de rôles ingrats, autant de facteurs qui sont en conflit constant avec l'égocentrisme enfantin.

Pourquoi, malgré tous ces écueils, le jeu de règle parvient-il à triompher? Parce que, dans l'esprit de l'enfant, il est l'apanage des grands, et l'enfant sent qu'il sera jugé grand, à vouloir jouer comme nous. C'est ainsi qu'il en vient à imiter notre jeu après avoir imité notre vie.

Un exemple montrera à quel point cette imitation reproduit la forme du jeu alors que le sens lui-même n'est pas assimilé.

Robert joue au ballon avec un de ses amis. Il m'interpelle: Maîtresse ! venez jouer avec nous, on joue à foot-ball. Vous serez l'arbitre !

- Je viens, Robert, mais que dois-je faire?

- Vous vous mettez là, et de temps en temps, vous dites 7 à 0 !...

Robert a éludé la difficulté, mais les apparences sont sauvées... Il joue comme un grand!

Ainsi, - et si paradoxal que cela paraisse - le jeu tel que nous l'entendons est la dernière conquête de l'enfant dans sa fidèle imitation de notre vie d'adulte. Mais il ne saura en explorer le prestigieux inconnu que le jour, où libéré enfin du carcan de son égocentrisme, il pourra se soumettre à la règle, attendre son tour, apprendre à perdre.

Pour doubler le cap de cette étape décisive, ce sont les vieux jeux de préau, ces jeux traditionnels aux paroles toujours jeunes qui vont aider l'enfant. Il est singulier, en effet, de constater, qu'au sortir du jeu-vie, si perméable - nous l'avons vu - à toutes les influences de notre vie moderne, l'enfant devient soudain étrangement conservateur. Les rondes anciennes succèdent au vrombissement des hélicoptères et la vieille formule: Am Stram Gram... réapparaît inchangée et fidèlement retransmise.

L'enfant les aime, ces formules et ces rondes, mais j'ai le sentiment, qui prend de plus en plus en moi force de certitude, qu'elles lui sont avant tout nécessaires.

C'est l'emprô qui va régler sans l'aide de l'adulte le délicat problème du choix. C'est la ronde, premier jeu de règle qui ne fait ni gagnants ni perdants qui va conduire l'enfant à aimer le jeu collectif. C'est elle qui va lui permettre d'attendre son tour dans le rythme et la joie d'une chanson.

Ainsi ces premières formules, ces jeux anciens toujours vivants, ont une valeur fonctionnelle. Ils assurent le passage du jeu-vie au jeu socialisé et, c'est dans la mesure où ils satisfont encore l'égocentrisme de l'enfant tout en introduisant une loi, qu'ils ont chance de passer définitivement dans le folklore enfantin.

L'enfant ayant joué ces premiers jeux traditionnels, pourra désormais accueillir sans heurts et sans déception les rigueurs de la règle.

Néanmoins le paradoxe demeure et j'en arrive à cette étrange conclusion: il est plus facile à l'enfant de jouer notre vie que de jouer notre jeu.









www.entretiens.ch fait partie du réseau « NETOPERA - culture - société - éducation sur Internet » et pour la photographie PhotOpera - Uneparjour || DEI - Défense des Enfants - International
ROUSSEAU 13: pour allumer les lumières - 300 de Rousseau  ROUSSEAU 13: les IMPOSTURES - 300 de Rousseau - portraits déviés PHOTOGRAPHIE:Nicolas Faure - photographe d'une Suisse moderne - Le visage est une fiction - photographie de l'image brute - Laurent Sandoz - comédien et acteur professionnel - Genève