ARCHIVES
(2002)
Y
a des jours comme ça...
Aujourdhui,
à lheure déteindre ma lampe de chevet,
en passant en revue les événements du jour, je me
suis dit que ce matin, jaurais mieux fait de rester couchée.
Toute la sainte journée, ce ne fut quune succession
dessais, ratés pour la plupart, pour rattraper un méchant
quart dheure de retard au réveil: le bâton de
mascara qui sen va patiner sur la joue, le peigne qui se dérobe
de mes mains et qui me fait un double salto arrière avant
de plonger droit dans la cuvette des W.-C., sans parler de la boucle
doreille qui disparaît sous le meuble de la salle de
bain, celui qui est encastré sous le lavabo.
On passe sur les habituels « Jérôme, il
est 7 heures, lève-toi mon chéri! » répétés
chaque matin une douzaine de fois. Quand arrive le quart dheure
suivant, lagacement face à linertie du petit
chéri en question me fait prendre une voix tellement désagréable
quil me lance un premier regard semblant dire « non
mais ça va pas la tête? », me renvoyant
ainsi à une prise de conscience peu glorieuse sur mes réserves
de patience.
Le petit déjeuner que jai voulu sacrifier mais que
jai quand même pris, sur le pouce en station debout
tant lodeur du café était irrésistible,
présageait déjà du fil rouge de la journée:
me brûlant les lèvres, jen ai généreusement
fait profiter le pan de manteau en poil de chameau beige clair que
je venais denfiler pour gagner du temps.
Sur le thème « manteau » on peut ajouter
quen revanche, lenfant lui, refuse den mettre
un, ce qui donne matière à dâpres discussions
alors que je préférerais tellement lui dire que je
comprends que cest dur de partir avec un sac à dos
aussi lourd dans un matin aussi glauque, éclairé par
de sinistres réverbères. Cest ainsi que je le
vois sortir, sans manteau mais ô grandiose concession, avec
une écharpe, et à peine un geste affectueux de ma
part pour lencourager.
Sur les vitres de la voiture, le givre mattend de pied ferme
et évidemment, les gants, restés sur la table du petit
déjeuner, tiennent compagnie à la liste des commissions
que javais consciencieusement préparée la veille
en me jurant de ne pas loublier.
Après une journée professionnelle épouvantablement
rasante, à côtoyer un patron stressé et pas
très compréhensif (mais ai-je été moins
stressée et plus compréhensive ce matin avec mon propre
fils?), me voilà effectuant le retour à la maison
dans une nuit hivernale via le supermarché, où je
mefforce de retrouver ce quil ne faut surtout pas omettre
dacheter. Hélas, là aussi, le brouillard dominant
domine.
A la caisse ça continue: ma carte de crédit fait des
siennes. Une dizaine de personnes mobservent recomposer pour
la troisième fois le code, et tous soupirent sous leurs bonnets
de laine. Confuse et bien mal à laise, jai limpression
de transpirer plus que tous ces gens réunis derrière
mon dos. Serait-il possible que mon compte soit à sec? Serait-ce
le retour de manivelle des euphoriques dépenses de fin dannée
où tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil?!
Au moment douvrir la portière, un des sacs rempli dachats
se déchire à peine posé sur le sol mouillé
du parking. Me voilà à quatre pattes cherchant à
la lueur des phares une boîte de thon particulièrement
rebelle qui slalome entre flaques et pneus.
Après trente minutes dune circulation intense et enfin
arrivée à la maison dans notre paisible campagne genevoise,
jentends mon mari hurler depuis le salon où il est
confortablement installé sous une couverture, puisque grippé,
pour savoir si je nai pas oublié dacheter « la »
chose qui forcément, vu la constante de la journée,
manque dans le cabas.
« Quest-ce quon fait de ludique ce soir? »
me suis-je demandé avec un brin dhumour en rangeant
les courses. Déjà préparer le dîner et
un grog pour le malade, tout en surveillant comme dhabitude
du coin de loeil les devoirs du cadet. Au fait, il est où
Jérôme?
Le téléphone sonne: cest lui. Il est sous la
pluie à larrêt du bus, à 200 mètres
dici et me supplie de venir le chercher puisquil pleut
et que son sac décole « pèse une
tonne ». Je mabstiens in extremis de revenir sur
le manteau manquant. Il faut bien que quelquun mette un terme
à des jours comme ça...
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