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(1994)
Changements
- T’es moche comme une truie!
Elle n’y est pas allée de main morte. La remarque m’ébranle
par sa violence. J’étais pourtant avertie. Quand j’avais
ingénument annoncé que j’allais me faire onduler
les cheveux, pour changer un peu de tête, elle avait éclaté
en sanglots.
Comme si je lui annonçais la fin du monde. Réflexion
faite au fil des jours, j’ai compris que, pour elle, c’était
en quelque sorte la fin du monde: sa maman allait changer, elle
ne ressemblerait plus tout à fait à ce qu’elle
avait été. Moins conforme à l’image à
laquelle elle était habituée depuis si longtemps,
image rassurante puisque stable, reconnaissable entre toutes.
A un âge à cheval entre l’enfance et l’adolescence,
en plein chamboulement, voir les autres changer peut paraître
inquiétant. Ses propres changements suffisent. Et puis la
fine mouche n’a sans doute pas supporté que sa mère
ait l’impudence de vouloir plaire encore. Car la gamine ne
s’y est pas trompée: quand on cherche à se faire
jolie, c’est qu’on a derrière la tête des
envies d’être désirable, qu’on a encore Dieu
merci! quelques désirs autres que ceux d’être
une mère aimante et... inchangée!
Il est difficile à tout âge de découvrir que
tout évolue, que tout est en perpétuel mouvement.
Même si ce mouvement et cette évolution sont signes
de vie, ils peuvent désarçonner ceux qui se sentent
fragiles et veulent se rassurer en voulant figer les choses et les
gens et immobiliser le temps.
Ce conservatisme est souvent très fort chez les enfants et
les adolescents qui ont besoin de points fixes pour se repérer
et évoluer. Le flou et les changements de comportement inquiètent.
Eux changent et c’est tellement important, et parfois pénible,
qu’ils ne peuvent pas supporter que les autres changent. Les
transformations de l’adolescence monopolisent tant de forces,
comment les libérer pour contrôler ce qui change, l’apprivoiser,
le comprendre?
Tout cela je ne l’ai compris que lentement, sur le tas. Qui
a dit qu’à partir de dix, onze ans, les enfants requéraient
moins de temps et d’attention? Jamais je ne me suis sentie
autant sollicitée et remise en question. Jamais chacun de
mes comportements ne m’a semblé être si lourd
de conséquences.
Nicole Métral in “24 Heures”
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