ARCHIVES (1994)

Trop grands, nos petits?

Il n’y a plus d’enfants. Cette assertion, frappé au coin du bon sens populaire, n’a jamais été aussi vraie qu’aujourd’hui. Paradoxe: alors que, dans nos sociétés occidentales, l’enfance a tous les droits, les enfants, eux, y ont de moins en moins droit.
Car l’enfant est désormais une personne. Le bébé est une personne. Le foetus est une personne. Ce changement de statut, on le doit bien sûr à Dolto et à ses pairs, mais encore à la télé, au ciné, aux lectures, à l’école, à la rue, bref, à la vie telle qu’ils la voient et la vivent.
Et aussi, et surtout peut-être, à l’éducation que nous, parents modernes, entendons leur donner. Notre credo: ne pas faire ce que nos propres parents nous ont fait. Ou ne nous ont pas fait.
Du coup, l’intimité entre parents et enfants n’a jamais été aussi forte. Dialogue, discussions, liberté de ton, activités communes, proximité de vie, participation...
Résultat, nous fabriquons à la chaîne des mutants bizarroïdes, autonomes, intelligents, drôles, capables de disserter brillamment sur n’importe quel grand sujet: drogue, sida, chômage, politique, nucléaire, pollution... Un enfant de 10 ans n’a rien à voir avec ce que nous étions à son âge. Sa maturité est telle qu’il pourrait aisément être notre père ou notre grand-père. Enfin, presque...
Et c’est là que les choses se compliquent. Ils sont assez grands ces petits? Assez pour comprendre. Assez pour juger. Assez pour nous juger. Et nous renvoyer ce qui les chiffonne. Aux “Range ta chambre”, “Brosse tes dents”, répétés depuis la nuit des temps, nous répondent désormais en écho: “Avec qui tu sors?”, “Affreux, ce rouge à lèvres”, “Elle est nulle, ta copine”. Ce n’est plus du dialogue, c’est une partie de tennis permanente. Et épuisante. Avec, sans cesse, une inversion des rôles.
Franchement, avec eux, il devient très compliqué d’établir un modèle parental qui tienne la route. Ni trop autoritaire, ni trop copain, ni démissionnaire, quelle horreur... Qu’il n’y ait plus d’enfants, passe encore. Le pire serait quand même qu’il n’y ait plus de parents.

Michèle Fitoussi
Article paru in “Elle”

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