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(1995)
Humeur
Que
sont-ils devenus, les légos de mon enfance? Filles ou garçons,
nous bâtissions ensemble bonshommes, maisons, garages et voitures.
Nous laissions libre cours à notre imagination! Invention
de génie et produit de qualité, les légos restaient
modifiables à l’infini.
Avec le temps, l’assortiment s’est démultiplié.
Le jouet non sexiste par excellence a évolué. Une
nouvelle gamme aux teintes pastel est apparue voici deux ans déjà.
Ma fibre féministe, aussi ténue soit-elle, avait déjà
vibré: ce manège aux teintes turquoises et rose bonbon
n’était-il pas destiné aux filles uniquement?
Cette année, Lego le dit ouvertement: «C’est au
tour des filles! Lego système Belville, la toute dernière
idée de jeu pour les filles de cinq à huit ans se
présente d’une façon romantique et élégante...
Dans le monde Belville, on peut créer et vivre de nombreuses
scènes et histoires de la vie familiale. Belville invite
les petites filles au festival des rêves...». Et de
présenter la villa, véritable palais à la piscine
ensoleillée, entourée de palmiers, «qui incite
à y vivre et comble les désirs d’une famille
harmonieuse», le Poney-club et ses chevaux ou la Chambre de
bébé, dans laquelle «le bonheur ne connaît
pas de limites». Un joli monde artificiel, tiré de
séries télévisées américaines
et mettant en scène des personnages richissimes. Tout ce
qu’il faut pour cultiver l’image de la mère au
foyer épanouie: on introduit de nombreux accessoires et l’on
pense au moindre détail: «le joli bandeau, les élégants
chaussons de danse, les nombreux et beaux habits, tout cela en matière
très douce». Lego cherche à détrôner
ainsi le monde éthéré de Barbie; parviendra-t-il
à ravir une part de marché à Mattel, au risque
de perdre l’identité qui a fait sa renommée?
Le bonheur de nos petites filles n’était-il pas de construire
avec leurs frères et leurs copains des châteaux imaginaires
et des scénarios modifiables à l’infini? Je reste
persuadée que la créativité n’a pas de
sexe.
Article tiré de «J’achète mieux»
No 228
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