ARCHIVES
(1998)
Où
sont les beaux enfants sales dantan?
Quand
jobserve les enfants dans les parcs ou dans les cours décole,
je ne vois plus de taches dherbe ou de terre sur les pantalons
ni, sur les chemises, de souvenirs de tartines à la confiture
avalées à toute vitesse le matin.
De nos jours, les enfants sont habillés « propre
en ordre ». Cest ce que jai observé
en ville, est-ce différent à la campagne?
Jen ai parlé avec dautres mamans et je sens bien
que la nouvelle habitude est de changer les habits des enfants quasiment
tous les jours. Cest vrai après tout, grâce aux
machines à laver, cest tellement facile de faire la
lessive. Pourquoi sen priver? Dailleurs, vous me direz:
où est le problème? Chacun a le droit de faire ce
qui lui plaît
Oui, bien sûr, mais le risque, cest que certaines tendances
deviennent des modes, puis des obligations et pour finir, gare à
ceux qui nobéissent pas!
Anciennes
et nouvelles habitudes
Mais, restons pratiques! Premièrement, voyons ce que cela
implique pour la mère. Quand mes enfants (6 et 8 ans) ont
commencé lécole, je me suis sentie obligée
de faire un peu plus attention à létat de leur
tenue vestimentaire. Je changeais leurs habits plus souvent et jévitais
les vêtements un peu défraîchis. Après
quelque temps, ma quantité de lessive par semaine avait doublé
et largent dépensé pour les habits également.
Je me suis demandé si cela était vraiment nécessaire.
Je me souvenais de mon enfance: ma mère me donnait des habits
propres le lundi, jour de la lessive, et, en principe, ils devaient
tenir toute la semaine (je ne parle évidemment pas des sous-vêtements
et des chaussettes). Cela avait lavantage de diminuer nettement
la quantité de lessive mais aussi de simplifier toutes les
questions liées aux habits: pas de « maman, quest-ce
que je mets ce matin? » au quotidien.
Jai alors repris mes anciennes habitudes. Quel soulagement
de voir la quantité de linge à laver, plier, repasser
et ranger redevenir à peu près raisonnable et, du
coup, javais du temps pour faire autre chose (jouer avec les
enfants, lire..)
Je mabstiendrai de parler de laspect écologique
de la question, et pourtant
Reconnaître
le nécessaire du superficiel
Mais cette nouvelle mode na pas que des conséquences
pour la mère, elle en a également pour les enfants
et ce sont celles-là qui me touchent plus particulièrement.
Habituer un enfant à changer dhabits tous les jours,
voire lui offrir la possibilité de choisir lui-même
sa nouvelle tenue chaque matin, crée petit à petit
le goût et le besoin de changer constamment, davoir
sans arrêt du nouveau.
Plus tard, ne sera-t-il pas tenté de vouloir consommer toujours
plus et sans répit? Est-ce la meilleure manière de
lui apprendre quels sont les besoins vitaux et ceux qui relèvent
davantage de la futilité?
Ces changements quotidiens ne lincitent pas à une certaine
simplicité, une certaine modération dans ses choix
de vie. Pourtant cette aptitude à reconnaître le nécessaire
du superficiel sera bien utile dans la vie dadulte, surtout
dans les situations difficiles.
Autre point: cet état de propreté continuel apprend
aux enfants à ne pas supporter la moindre saleté.
Est-ce normal pour des enfants petits, qui ont un grand besoin de
jouer, de leur inculquer cette peur, cette aversion pour les taches?
Et surtout, cela ne risque-t-il pas daggraver encore davantage
notre chère particularité suisse, à savoir
daimer ce qui est propre et net et moins ce qui est différent,
peut-être un peu moins propre, un peu plus pauvre, un peu
moins brillant, bref de ne pas accepter ceux qui ne sont pas comme
nous?
Le
culte de lhabillage
Ma nièce de 14 ans, qui vit dans une petite ville du canton
de Vaud, me dit que pour elle ce problème existe déjà.
Figurez-vous que si un élève met un habit plus de
deux à trois jours de suite, et ce quel que soit létat
de propreté de lhabit en question, ses copains se moquent
de lui et le traitent de « crade ». Donc,
personne nose jamais mettre le même vêtement plus
de trois jours.
Je trouve tout de même étonnant que des enfants sintéressent
à ce genre de problème. Nous avons plutôt lhabitude
dentendre ce genre de jugement de valeurs (« sales »)
de la part dadultes ou de certaines personnes âgées,
ceux qui aiment ce qui est propre et net.
Une autre réflexion: ce temps passé quotidiennement
au culte de lhabillage (cinq à dix minutes chaque matin
durant toute lenfance) na-t-il pas une influence sur
le fait quadolescents, les enfants sont obsédés
par leur aspect et accordent une toujours plus grande importance
à leur façon de shabiller, de manière
de plus en plus exigeante pour le porte-monnaie (habit de marque,
etc.)? Nous risquons alors de leur reprocher une tendance que nous
leur avons nous-mêmes inculquée dès le berceau.
Je
lance donc un vibrant appel pour la réapparition des taches
sur les genoux! Elles sont une excellente preuve que lenfant
sest bien amusé et quil sest laissé
aller à toute sa créativité!
Julie
Retour
au sommaire 98
|